Ça commence par un cliché, et même, par *le* cliché du début, l'ouverture classique des Musso / Levy (le commentaire météo) et ça l'étire, le déforme, le noue sur lui-même pour finir par le dynamiter, le fou-rire du lecteur comme détonateur. En somme, il y a déjà tout l'esprit de La Tentation de la pseudo-réciproque (on respire !) dans sa première phrase : le sens de la formule, l'humour omniprésent, le recul sur son propre travail et, en filigrane, visible derrière chaque phrase du roman, l'amour du verbe, le romantisme des mots. Ça c'est pour la partie "littérature", qui pourrait presque suffire en soi tant La Tentation s'avère aussi joliment que joyeusement écrite (avec une proportion d'adverbes en -ment inférieure à celle de cette critique, pour vous rassurer).

C'est un festival de jeux sur les mots mais plus encore sur la grammaire, la construction des phrases permettant souvent, arrivé au bout, de se retrouver surpris (où le sujet, l'objet ou le sens n'était pas celui que l'on croit) mais qui a le bon goût de ne jamais sacrifier à l'intelligence du propos le plaisir du destinataire. Le style conserve en effet une facilité de lecture déconcertante, et s'il est impossible de ne pas penser au génial Doug Adams, c'est aussi Boris Vian que m'aura évoqué plus d'une fois la prose de Kylie Ravera (à lire à haute voix bien sûr).

Mais parce qu'il s'agit là d'un roman généreux, il offre, en cadeau bonus, une histoire habilement construite et tous les grands plaisirs qui vont avec. L'ambiance d'abord, la quasi totalité du roman se déroulant dans les murs du lycée imaginaire Pépin le Bref, avec cette atmosphère d'école qui diffère un rien des collèges anglais d'Harry Potter mais permet tout de même un cadre assez familier pour chatouiller la fibre nostalgique... On rétorquera que l'ambiance d'une prépa est très spécifique (et c'est le cas) mais en faisant de son héros une sorte d'imposteur (je n'en dirai pas plus), Kylie Ravera permet une identification au personnage beaucoup plus large qu'aux simples étudiants de prépa (que simplement aux étudiants de prépa, aurais-je dû écrire, n'allez pas me faire dire autre chose. Même si...) Quelques interludes à la 3ème personne permettent une respiration dans la narration, mais aussi des points de vue autres sur les événements ou le cadre (le chapitre des colles est juste fabuleux). Au fond, avant d'être un lycée accueillant la prépa, Pépin le Bref est un lycée tout court, et parce que personne n'a jamais pu passer trois ans là bas sans se sentir une fois ou deux un peu désaxé, La Tentation et son ambiance scolaire un peu déjantée devrait parler à tout être humain ayant obtenu (ou ayant tenté) le bac.

Et puisqu'on parle du héros (subtile transition s'il en est) profitons-en pour glisser un mot sur la construction des personnages de manière générale. La narration à la première personne donne une immersion parfaite dans la tête de Peter, garçon à la fois suffisamment nuancé, intelligent et fin pour le trouver intéressant, et profitant d'un dosage tout aussi savant en naïveté, égoïsme adolescent (avec un rien de malhonnêteté intellectuelle) pour être vrai, pour être touchant. Si Eléanor, l'autre grand personnage, reste volontairement mystérieuse, il transparaît bien assez de son caractère pour en faire un des points forts du roman (et un des moteurs premiers de l'envie de lire la suite). Quant aux "secondaires", ils bénéficient tous de quelques bonnes scènes suffisantes à les définir (Mme Zita ♥) ou d'une petite notice biographique très naturellement intégrée à la narration (et généralement à mourir de rire). Il faudra en revanche, comme chez Adams, réussir à passer outre le fait que la totalité des noms des protagonistes soient des jeux de mots, ce qui peut au départ freiner un rien la capacité du lecteur à prendre tout ça au sérieux. Là encore, l'auteur dispose de suffisamment de recul, et à la bonne idée de ne pas expliquer ses propres blagues (à l'inverse d'un David Foenkinos) et donc de séparer par la suite noms et prénoms... A vrai dire, le roman tout entier subit ce processus de "sérieusification" et si le style ne perd pas en humour au fil des pages, le récit gagne en enjeux, et en noirceur.... Et si l'enquête policière bifurque de fausses pistes en coups de théatre, elle n'en est pas moins soutenue par la thématique sous-jacente du roman, un fil tendu entre toutes les pages, y compris dans tout ce qui précède la partie polar, et qui donne une solide cohérence narrative à l'ensemble.

Au final, un roman à l'issue duquel je n'aurais jamais été si heureuse d'avoir choisi la fac, et qui tout en offrant une histoire entière et une résolution des différents fils de l'intrigue, appelle à lire la suite.

D'abord parce qu'on n'a pas tant que ça l'occasion de rigoler lors des trajets de métro. Ensuite parce que j'ai dans l'idée que le prologue (certes brillamment justifié avant le dernier quart du récit) et autres petits détails demeurés un peu flou s'avèrent des tiroirs entrouverts pour les (nombreuses) suites de ce premier volume.

Enfin parce que j'ai bon espoir que les quelques regrets que j'ai pu avoir seront traités dans les tomes suivants, notamment celui de l'isolement de Peter... j'ai une vraie affection pour les romans "d'école", pour les ambiances de cours et de cour, mais toutes mes lectures de ce genre voyaient le protagoniste se lier à au moins un ou deux élèves, avoir des alliés qui partageaient son statut, et reposaient aussi sur une ambiance de "camaraderie" qui prend au cœur, ce qui m'a parfois manqué ici.

Oh, pour information, ce premier tome est disponible à la demande sur le site de son auteur, auto-éditée. Tiens au passage... avec le recul est-ce qu'un éditeur "externe" y aurait fait de l'élagage ?
Franchement, oui.
Mais ç'aurait sans doute été dommage.
Julie_D
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le 12 juil. 2013

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Julie_D

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