Chez les Kaplan, on est médecin de père en fils depuis de nombreuses générations. Joseph, né en 1910 ne déroge pas à la règle ancestrale. En 1936, alors que le Front populaire gagne le scrutin, il arrive à Paris pour y achever ses études à l’Institut Pasteur. Puis part à Alger pour y travailler. D’Afrique du Nord, il est le témoin de la montée du nazisme en Allemagne. Puis la guerre éclate. Juif, il est contraint d’abandonner ses amis pour se cacher et échapper à la répression. A la fin du conflit, et dès que les frontières s’ouvrent de nouveau, il repart vers la Tchécoslovaquie avec l’espoir presque irréel d’y retrouver son père. En vain malheureusement : la plupart des juifs restés à Prague ont été emporté et plus personne ne les a plus revus.
Avec Christine, son épouse qui l’a suivi depuis le Maghreb, il s’installe dans une vie précaire dominée par la police politique aux ordres de Moscou. Censure et arrestations arbitraires. On se méfie de tout le monde car n’importe qui peut-être un informateur au service du pouvoir : le serveur du café, le marchant de légumes, votre voisin… votre conjoint ou l’un de vos enfants. Sourire de rigueur et optimisme de façade : tout va bien dans le meilleur des mondes. Mais madame (française) part avec leur cadet faire une visite en famille à Saint-Etienne. Et ne rentre pas. Joseph reste seul avec sa fille aînée. Un ami de la famille accusé de trahison s’évanouit dans la nature. On se console et les familles se recomposent au gré des innombrables disparitions.
Agé de 56 ans, Joseph se voit confier la direction d’un sanatorium construit dans un coin perdu et inadéquate aux confins de la Bohème. C’est là que le pouvoir confie au praticien un malade très important. Si important qu’il sera le seul patient de l’établissement. Mourant, il est atteint de paludisme, d’asthme, de dysenterie… Cet homme, c’est Ernesto Guevara.
J’ai tout d’abord été surpris de ne voir arriver le Che qu’à la page 357 de cette histoire aux multiples rebondissements. Je savais que le révolutionnaire nous était conté à travers les yeux du médecin pragois. Mais je pensais qu’Ernesto serait le centre du livre alors qu’il n’est au final qu’une ombre passant si rapidement qu’on en vient à douter d’avoir véritablement croisé sa route. Un Che incognito, venu en Tchécoslovaquie se refaire une santé après une campagne éprouvante au Congo. Ce n’est plus un révolutionnaire marxiste mais un homme épuisé, brisé. Surpris du tournant qu’a pris sa vie alors qu’il était destiné à devenir médecin en Argentine. Mais c’est après avoir compris que le peuple souffrait de la misère et ses remèdes n’y changeraient rien qu’il abandonna sa voie pour attaquer le mal à la racine. C’est dans les bras d’Héléna, la fille de Joseph, qu’Ernesto eut envie de raccrocher. D’abandonner la lutte aux jeunes et de reprendre sa vie où il l’avait laissé des années plus tôt. Le baroudeur sans frontière aspire maintenant au calme. Au repos. Revenir en Argentine, vivre aux côtés d’Héléna et d’exercer enfin son métier.
Un beau livre qui accaparé d’un bout à l’autre. Très dense en évènements que le lecteur découvre avec les yeux de Joseph : la Première Guerre mondiale, l’épidémie de grippe espagnole qui emporta sa mère alors qu’il était enfant, le Front populaire et les congés payés, la guerre d’Espagne, l’Algérie française, la Seconde Guerre mondiale, le nazisme et le génocide juif, la division du monde en deux blocs, la dictature socialiste, la police politique, la censure, les arrestations, le printemps de Prague et la répression, la perestroïka, la chute du Mûr de Berlin et l’effondrement du bloc soviétique… Le lecteur se balade dans un livre d’histoire qui retrace une large partie du XXe siècle. Une écriture très agréable à lire et qui garde une certaine distance avec l’intrigue, des personnages attachants qui se débattent pour s’en sortir malgré les difficultés parfois ahurissantes.
Un bon moment de lecture que je n’hésiterai pas à recommander.
BibliOrnitho
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le 14 déc. 2012

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