Critique de La chevalerie bretonne par AlainR1
Ce livre, formidablement documenté, nous fait pénétrer dans le monde de la chevalerie et des grandes familles bretonnes. A lire pour ceux qui s'interessent à cette époque
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le 19 mai 2012
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...duelle, parce qu'il semble utile d'associer à ce livre sur la réalité concrète de la chevalerie en Bretagne un autre ouvrage : Trégor Goëlo Penthièvre, le pouvoir des comtes de Bretagne du XIe au XIIIe siècle, par Stéphane Morin.
https://pur-editions.fr/product/4422/tregor-goelo-penthevre
pourquoi ?
Parce qu'il apporte une réflexion ( aussi minutieuse et prudente ) sur les stratégies des familles nobles, en particulier par le jeu des alliances matrimoniales.
Ces deux livres ne se dévorent pas comme des romans : il faut les mâcher lentement. Digérer des termes pas toujours évidents ; supporter l'approche universitaire, l'examen minutieux de chaque cas, même s'il est parfois répétitif. ( et, malheureusement, tolérer un manque de relecture avant impression, qui a laissé passer quelques coquilles très regrettables )
Si on n'y est pas allergique, on y gagne un début de connaissance, à la fois de ce qu'était une famille noble médiévale ( du moins, en Bretagne ) et de la réalité de ce qu'était un chevalier.
Intéressant, non?
Je ne vais pas vous les résumer, c'est trop fouillé :
Les auteurs ne cherchent pas tant à défendre une théorie, un point de vue, qu'à décrire au plus juste en analysant minutieusement les documents existants ( rarement épistolaires, rarement des chroniques, plutôt juridiques ) : actes d'abbayes, contrats de mariages, donation, dotations, inventaires etc...
Ils en déduisent, en les recoupant, les origines, les liens familiaux, les titres, les fonctions, les réseaux d'alliances.
La petite histoire rejoint la grande :
en suivant les heurs et malheurs des familles ( famille au sens large : un lignage ), on découvre le panier de crabe qu'était cette période, le roi de France surveillant comme du lait sur le feu les rivalités entre les grandes familles de Bretagne, d'Anjou et de Normandie ( toujours prêtes à s'entredévorer )...
...ce même roi favorisant et défavorisant les uns ou les autres dès qu'un des clans risque de devenir trop puissant ;
...et les implications des rois d'Angleterre dans ce méli-mélo ultra chaud, les nobles bretons acquérant de plus en plus de terres et de puissance en Angleterre jusqu'au moment ou les alliances matrimoniales permettent au souverain anglais de contrôler une partie si importante de la Bretagne qu'il risque d'en devenir le maître, déclenchant la réaction guerrière du roi de France qui ne peut accepter ça...et, au final, l'assujetissement complet de la Bretagne à la France.
Ces stratégies des familles nobles sont inscrites dans un jeu d'équilibre très complexe : gagner de la puissance trop vite ou de façon trop voyante est souvent le plus court chemin vers la ruine d'un lignage.
On pourrait en faire un jeu de société passionnant mais difficile.
Et en suivant les efforts des comtes de Bretagne pour se constituer une armée efficace, on découvre aussi presque un par un tous les chevaliers dont on a conservé trace dans les documents - en particulier dans les convocations de bans.
On voit aussi comment les petites familles nobles sont très locales, et comment, plus elles sont puissantes, plus elles multiplient les mariages hors de la région, et en viennent à avoir des territoires disséminés dans toute la France et l'Angleterre - tandis que, par des mariages équivalents, des nobles français obtiennent des terrains en Bretagne; de sorte que, plus la famille est haut placée dans la pyramide du pouvoir, plus ses possessions tiennent du puzzle et du patchwork.
...on est encore loin du remembrement ! ;)
On voit l'importance des dettes financières : plus une famille est puissante, plus elle y a recourt, au point qu'on y hérite autant des dettes de ses parents que de leurs titres et biens, et qu'on peut passer la moitié de sa vie à se dégager de ce fardeau toxique ;
A propos de dettes, on découvre combien est cher l'équipement d'un chevalier : le destrier ( et pas n'importe lequel, pour supporter les combats et le poids de l'équipement il faut un cheval de la bonne espèce, avec le bon caractère et bien entraîné ), son équipement, l'équipement du cavalier, son armure et ses armes.
Autant les grandes maisons nobles peuvent se permettre d'en avoir des douzaines ( voire des centaines ), autant une famille à la base de la pyramide de la noblesse doit s'endetter pour en équiper un seul.
Equiper un chevalier, c'était à peu près comparable à l'achat d'une maison de nos jours.
Chevalier, seuls les nobles peuvent l'être.
Tous ne le sont pas.
On est dans le système féodal : chaque noble est le vassal d'un noble supérieur ( sauf les rois, qui sont "vassaux de Dieu" ), il lui doit, entre autres choses, un service militaire d'un certain nombre de jours par an, le service d'ost.
L'ost, utilisable par son suzerain pour se défendre, pour attaquer, et pouvant être mis au service d'un suzerain supérieur ( par exemple les comtes de Bretagne peuvent engager au service d'une guerre du roi de France leur ost, composé de celui de leurs vassaux, composé de celui de leurs petits vassaux, etc...) est un système d'allégeances en cascade.
Le nombre de chevaliers qu'un noble doit à son suzerain pour le service d'ost dépend de la taille et de la richesse de son domaine : c'est une sorte d'impôt en nature.
Les plus petits nobles ne doivent parfois qu'un demi-chevalier !
( j'imagine qu'ils s'organisaient à plusieurs pour fournir un chevalier entier, se troquant mutuellement des contreparties : tu fournis le chevalier et je te laisse le bénéfice de mon verger près du moulin pendant un an pour les pommes à cidre - en y ajoutant le premier cochon né dans la ferme des trois-chênes )
Ces chevaliers ne venaient pas seuls : ils encadraient un certain nombre de fantassins ( non-nobles ), très mal équipés et armés à la diable, dont la valeur était presque nulle en comparaison du coût du chevalier.
La convocation d'un ban, interminable, donnait lieu à une litanie d'appel, chacun se présentant à l'énoncé de son titre et de sa terre, et rappelant combien de chevaliers sont dus pour son domaine, par coutume et accords ;
...et le suzerain devait, avec ça, composer une armée de bric et de broc, en grande partie mal équipée, mal formée et peu entraînée à combattre ensemble.
parfois, si des conflits de loyauté faisaient qu'un chevalier allait devoir combattre contre un de ses alliés personnels à cause de ce service d'ost, il trouvait un prétexte pour ne pas venir ( je peux pas, j'ai aquaponey ! ).
...laquelle armée quittait le champ de bataille et rentrait chez elle ( parce que bien sûr, la plupart des chevaliers ne vivaient pas chez leur suzerain, ils habitaient dans leur petit domaine ) sitôt les jours de service achevés, même si le conflit n'était pas réglé !
...sauf si le suzerain en embauchait une partie ( à ses frais ) pour poursuivre la guerre.
...et, peu après, lesdits chevaliers envoyaient à l'administration du suzerain la facture des dégâts : demande de remboursement ou remplacement pour cheval mort ou blessé, équipement abimé ou même juste usé, d'armes cassées ou perdues, de dédommagements pour blessures du chevalier ou pour les jours maladie contractée à la guerre...
...factures qui pouvaient, administration oblige, mettre des années à être payées., occasionnant des lettres de relance qui sont autant de trésors pour les historiens.
...oui, on est un peu loin des chevaliers de la table ronde errant dans les landes pour défendre la veuve et l'orphelin...
Créée
le 6 févr. 2024
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