Retour de lecture sur "La Compagnie: le grand roman de la CIA" un livre du journaliste et écrivain Robert Littell, publié en 2002. Ce livre imposant de plus de 1200 pages, avec une pagination dense, retrace à travers le destin de plusieurs personnages de fiction, notamment trois anciens étudiants de Yale devenus espions, l'histoire de la guerre froide et de la lutte entre la CIA et le KGB, cela sur près d’un demi-siècle de 1950 à 1991. Le format du livre peut en décourager certains mais il faut savoir que l’auteur a vraiment frappé fort ici, ce livre est une véritable référence, on peut presque dire que Littell a tué le game, car il remplace quasiment à lui seul un genre complet qui est celui du roman d'espionnage. On apprend et on comprend à travers celui-ci énormément de choses sur la guerre froide et ses mécanismes. Le récit aurait pu être décliné en plusieurs tomes bien distincts puisqu’il se concentre sur plusieurs événements bien précis que sont: le soulèvement de la Hongrie en 1956, la baie des cochons à Cuba en 1961, l'Afghanistan en 1983 et enfin le putsch de 1991 contre Gorbatchev. On peut s’étonner de l’absence de l’assassinat de Kennedy, mais c’était un évènement marquant de cette période tout en étant un peu à la marge de la guerre froide. Les Kennedy sont pour d’autres circonstances, loin d’être absents de ce roman. C’est une saga impressionnante, haletante, construite avec énormément de précision et de détails. Malgré quelques erreurs, comme par exemple la réapparition d’un Boorman pourtant mort dans la bataille de Berlin, ou le bombardement de Dresde mal daté, et certains gadgets techniquement farfelus, dignes d’un James Bond, le tout est plutôt bien ficelé, bien documenté et crédible. Les détails de l’implication des Etats-Unis dans les événements relatés sont passionnants. On ne s'ennuie presque jamais malgré la longueur de ce roman, l’auteur a su réaliser un parfait mélange entre la réalité et la fiction et à su agrémenter son roman historique d’une chasse à la taupe, au sein de la CIA, particulièrement haletante qui rend la lecture passionnante et donne de la consistance et du rythme à l’histoire. Une des difficulté dans la lecture de ce roman pourrait être de s'y retrouver avec les très nombreux personnages, membres de la CIA du KGB ou hommes politiques, mais Littell fait l'effort à chaque fois de rappeler le titre et le rôle de chacun, cela toujours sans trop alourdir le texte, ce qui aide grandement à la compréhension. Cela étant dit, on n’est pas dans une œuvre littéraire d’une grande poésie, l’écriture, même si elle est extrêmement précise, reste purement fonctionnelle, dans un style qu’on peut difficilement imaginer plus basique. Les relations amoureuses sont presque du niveau de la collection Arlequin et la psychologie des personnages principaux très manichéenne, il sont et restent tous figés dans leurs croyances et convictions. Certains portraits sont particulièrement caricaturaux, notamment celui du responsable russe du KGB, grand stratège mais sans subtilité, qui est dépeint comme un pédophile abject ou encore l'espion américain, surnommé le sorcier, comme caricature de cowboy alcoolique. Seuls les transfuges et taupes, qui passent d’un camp à l’autre, apportent un peu de subtilité dans leurs pensées et sortent des schémas pré-établis avec leurs manœuvres, leurs doutes et leurs trahisons. On voit clairement dans la forme de ce roman, que nous avons affaire à un roman de journaliste, cela dans la banalité du style mais d’un autre côté aussi dans la maîtrise parfaite de son sujet. C’est un roman historique, qui nous explique par l’exemple, avec les quatres événements choisis qui sont vécus de l’intérieur, du point de vue américain ainsi que celui des russes, ce que la guerre froide a vraiment été ou ce qu'elle est encore. On a une idée relativement précise de la manière dont fonctionne un service de renseignements particulièrement opaque comme la CIA, ce qui se passe à son siège de Langley. Les interactions avec le monde politique sont parfaitement détaillées, on est même un peu atterré de constater à quel point ces hommes politiques sont sans grande réflexion et totalement dépendants de leurs services de renseignements. On ferme donc ce roman passionnant en comprenant mieux le monde dans lequel nous vivons, comment nous en sommes arrivés là, mais non sans inquiétudes quand on sait que les principaux arsenaux nucléaires sont entre les mains de dirigeants pas particulièrement futés, conseillés par des gens qui évoluent souvent dans l’amateurisme le plus complet.
____________________________
"La floraison finale, s'il y a floraison, peut prendre encore cinq ans. Le contre-espionnage, c'est pareil- on fait pousser des graines dans des petits pots pendants des années, on maintient une température chaude et humide, on espère que ça fleurira un jour, mais c'est sans garantie. Il faut avoir la patience d'un sain, ce dont vous êtes totalement dépourvu, Harvey . La culture ses orchidées et le contre-espionnage ne sont pas votre tasse de thé."