Vincent Fischer, cadre dans l’entreprise de cosmétiques K&F, est retrouvé sans vie dans sa chambre d’hôtel, décédé d’une asphyxie auto-érotique, un collant entortillé autour du cou et un quartier d’orange dans la bouche.

Sa femme Joy, anorexique et instable à temps plein, mariée avec lui depuis seulement six mois, se rend à Leipzig pour les formalités de rapatriement du corps. Rencontrant un ex-collègue de son mari autour d’un café recouvert d’une couche épaisse de Schlagsahne, elle prend conscience de son ignorance, du fait que le peu qu’elle pensait savoir sur lui est faux, ou mieux incertain.

Le premier trait de génie de ce livre est son titre, évoquant tout à la fois le mystère autour de la personne du mari disparu (Qui était-il vraiment ? Que faisait-il ? Que se passe-t-il chez K&F ?), et l’état de déséquilibre de sa femme qui cherche à reconstituer le parcours du dernier voyage d’affaires de son mari, dans une enquête dont la finalité et les limites restent floues, sans doute pour pouvoir faire son deuil de cet inconnu.

Dans un territoire situé entre Ypres, Charleroi et les Ardennes françaises, évocateur des faits divers les plus terribles, elle semble se rapprocher d’un trou noir aux relents sordides. Ce parcours dans les pas de son mari décédé vient sans cesse en résonance avec ses propres névroses et ses écœurements, avec l’éparpillement de sa propre identité, avec son incapacité à prendre soin d’elle-même, dans cette quête où elle semble se mettre en danger hors de toute rationalité.

« Au fond, secrètement, tu espérais que les choses resteraient ambigües, que leur ambigüité était définitive, que tu ne pourrais définitivement jamais savoir. Tu espérais que ce qui était hors du commun était improbable et demeurerait improbable. Tu ne pouvais définitivement pas savoir ce qui s’était passé dans une cave à charbon, dans l’arrière-cour d’une brasserie, dans un appartement vide aux fenêtres couvertes de plastique noir, dans un garage près d’une rivière, dans une chambre d’hôtel. Ton imagination a inventé des espaces vides et les choses improbables qui s’y sont passées. »

La langue de Nick Barlay nous entraîne inexorablement dans ces sables mouvants, langue d’une précision absolue pour des événements qui sont tous incertains, langue qui s’exprime par la voix d’un narrateur anonyme et objectif, qui s’adresse à Joy de l’extérieur, comme si pénétrer ce qui est là, de l’intérieur, était impossible, comme s’il fallait s’en tenir aux objets, à ce qui peut être vu, et accepter l’opacité que crée ces troubles de l’identité et cette histoire trouble.
MarianneL
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le 14 mars 2013

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