Il s'agit de mon deuxième livre de Jean-Pierre Le Goff et j'admets avoir été davantage convaincu par celui-ci. L'auteur nous présente dans La fin du village, ce que l'on pourrait appeler un travail de sociologie dans la plus pure tradition. C'est-à-dire une analyse poussée de faits objectifs sur plusieurs décennies, une observation de l'évolution démographique et des comportements individuels sur le temps long, un croisement entre théorie et pratique avec la récolte d’informations à même le terrain en rencontrant les gens susceptibles de faire avancer sa réflexion. Un travail remarquable donc qui croise différentes thématiques telles que l'histoire, la géographie, la sociologie, l'économie et la culture.


Le propos de Le Goff est de montrer la transformation des populations qui vivent au sein d'un village et ses conséquences en prenant pour objet d'étude le cas de Cadenet, petit bourg cher à l'auteur au cœur du Vaucluse. Le constat est sans appel, on le connait tous plus ou moins, le village se vide, surtout de ses forces vives qui partent aussitôt vers les grandes villes environnantes pour trouver du travail et le "confort relatif" de la vie moderne. Et, inversement, lorsque des gens viennent s'implanter, ils sont rarement de la région. Pour la plupart issus des grandes villes (voire de l'étranger), ces parasites du XXIème siècle viennent s'approprier le village comme on achèterait un produit. Ils cherchent au fond à se réfugier à Cadenet pour retrouver un peu de sérénité et de douceur de vivre (le fameux "confort relatif" juste au dessus, n'est-ce pas) mais leur comportement individuel et déraciné, très loin de l'héritage et de l'esprit de clocher, participent à la destruction accélérée de la culture villageoise et à la fragmentation du lien social caractéristique de ces micro-sociétés. En miroir de ce délitement progressif, la France, notre vieille nation, qui s'est faite en partie par l'intermédiaire de ses villages depuis des siècles que ce soit les accents (aujourd'hui méprisés sans vergogne), les expressions propres à la culture (provençale ici), les savoirs-faire ancestraux et les métiers d'hier (métier de vannier) qui disparaissent et finissent par être exposés dans des centres culturels aseptisés de gauche où l'on sert la litanie habituelle et mythomane du "entre tradition et modernité" (on a tous vu une expo merdique qui intitule son propos ainsi).


Bref, Le Goff annonce à demi-mot la fin d'une époque, la gentrification du socle même de la France chrétienne et hors de la mondialisation galopante et, par voie de conséquence, la fin des français comme on les définissait il n'y a pas encore si longtemps que ça. Vous savez les "dinosaures" que l'on regarde avec nostalgie sur les vidéos de l'Institution Nationale de l’Audiovisuel, ces gens fiers de leur terroir, de leur patrimoine, enraciné dans un lieu dans lequel il restait pour la plupart toute leur vie et qui parlent un français comme on ne l'entend plus guère désormais ou un argot typique. Tout cela est en train de crever à la vitesse grand V, et notre sociologue, sur près de 800 pages, nous le rappelle gentiment. Sans verser dans le sentimentalisme mièvre ou dans le désespoir subjectif et mal placé, l'auteur montre un travail de terrain remarquable et dans la retenu, sans jugement même si, connaissant le personnage, on devine en filigrane sa pensée.


Les parties sont loin d'être équitables, certaines sont passionnantes. Je pense notamment à toute la partie historique sur les vanniers, la vie de bistrot au fameux "Bar des boules", les comportements communautaires propres au village avant les années 50/60. Toute la première partie intitulée : "Communauté villageoise et peuple ancien". Celle-ci est découpée en six chapitres évocateurs que je prends plaisir à vous partager : "Un village de paysans et de vanniers. Travail et traditions provençales" ; "Cher pays de mon enfance. Jeunesse et plaisirs d'autrefois" ; "Le plaisir de la parole. Sociabilité et conflits" ; "Les 'gens d'ici'. Filiation et 'inter-connaissance'" ; "Mémoires de guerre. Leçons d'humanité" ; "Les derniers combattants ?". Puis lorsque la deuxième partie intitulée "La fin d'un monde" arrive, c'est là que commence les ennuis. Déjà parce que notre époque est chiante, on le sait tous. Lève les yeux de l'écran et regarde autour de toi, ce monde pue. Et surtout parce que l'auteur s'attaque à toute la chienlit gauchiste cultureuse et managériale des milieux associatifs déconnectés de la réalité et pédophiles au sens primaire du terme (voir le chapitre XXV du présent ouvrage, on nage en plein délire). Où comment faire chier en imposant par le biais de subventions et de fausses bonnes idées tous les délires égocentriques individuels de connards des villes : bureaucratie, logomachie, démocratie participative, manie de la clôture pour délimiter son "espace personnel", soins du corps et performance, gestion du stress et déprime, psychothérapie en tout genre, nos amis les plantes et les animaux, bouddhisme, ateliers sodomie... Vous l'aurez compris le village de Cadenet, comme beaucoup d'autres en France, est atteint d'un cancer incurable : l'individualisme narcissique (merci Lasch d'avoir prophétisé tout ça) et le gauchisme culturel castrateur et homo-expandus.


Outre ces considérations objectives, on appréciera le découpage en une multitude de petits chapitres permettant d'entrevoir un travail articulé et construit sur une méthode universitaire très stricte. L'avantage est que cela permet de faire des pauses dans sa lecture et de ne jamais perdre le fil. Un grand nombre de notes ainsi qu'une bibliographie complète permettront aux plus friands d'entre vous de poursuivre les investigations.


Je terminerai cette critique sauvage et écrite à la va-vite par cette citation de Charles Péguy qui vaut tout simplement tous les discours du monde et qui, par ailleurs, fait écho au dernier sous-chapitre de Le Goff intitulé "Les derniers survivants" p. 671 :



A présent que l'on ne me fasse pas dire ce que je ne dis pas. Je dis : nous avons connu un peuple que l'on ne reverra jamais. Je ne dis pas : on ne verra jamais de peuple. Je ne dis pas : la race est perdue. Je ne dis pas : le peuple est perdu. Je dis : nous avons connu un peuple que l'on ne reverra jamais.


silaxe
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le 23 mars 2019

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