La thèse du livre est de prendre en compte les émotions dans la lecture des relations internationales. A partir de cela comment ne pas être déjà conquis ? Pendant des années, sous l'impulsion d'une vision très réaliste du monde, on a considéré les Etats-nations ainsi que l'ensemble des constructions humaines comme des choses complètement inhumaines, dénuées des imperfections de ses créateurs.
Fort heureusement aujourd'hui, de nombreux auteurs étudient désormais l'impact de l'imperfectibilité humaine sur ses constructions (institution, Etat-nation, Gouvernement, ONG...). Ce livre s'inscrit dans ce courant de pensée en étudiant cette influence humaine sous l'angle des émotions.
De très haut, l'ensemble de la construction de ce livre va lentement sombrer. Pour commencer son étude, Moïsi, débute en introduisant les émotions qu'ils souhaitent étudier. Il ne se consacrera qu'à trois émotions : la peur, l'espoir et l'humiliation. Moïsi justifie maladroitement cela en prétextant que tout trois sont liés à la confiance. Honnêtement seule réponse possible à cela : mouais. Passons sur le fait que Moïsi parle ici "d'émotions", alors qu'en réalité cela devrait être qualifié de "sentiment", une émotion étant par excellence une courte réaction à un stimuli dans un faible espace de temps (ex : la peur face à un jump scare dans un film d'horreur). Je suis toujours fort naturellement sur la défensive face à une personne faisant une mauvaise utilisation du maître mot de sa démonstration, mais admettons. Ensuite pourquoi déconstruire ainsi les "émotions" en n'en sélectionnant que trois ? Pourquoi celle-ci ? Ce n'est pas convainquant mais encore une fois admettons, l'idée de base de l'auteur, on verra si dans son application il fera sens de tout cela.
La base était fragile, l'application va être absolument médiocre. Le pire n'était pas encore arrivé. Moïsi va se lancer dans une veine et complètement gratuite : cartographie des émotions (sentiments). Le fait de tenter d'expliquer la situation de la plus part des pays influants de ce monde en quelques pages est un exercice risible déjà tenté par de nombreux auteurs, qui se sont très généralement toujours vautrés à en faire ainsi : Kissinger ("world order"), Kagan ("the return of history and the end of dreams"), Kaplan ("la revanche de la géographie")... Kagan s'en étant de loin le mieux tiré, dans un livre qui vaut pour le coup le détour. C'est toujours les mêmes chapitres nigauds : la Chine, le Japon, la Russie, l'Iran, les USA... Moïsi non seulement ne va pas échapper à la règle mais va le faire d'autant plus mal. Non seulement ses élucubrations sur ces différents Etats vont être plates au possible mais de plus il a décidé très arbitrairement de n'assigner qu'un seul des sentiments qu'il souhaite étudier à chacune des parties du monde. Ainsi l'Asie de l'est c'est l'espoir (ah ? bon d'accord), le monde arabe représente l'humiliation (ben voyons mon con), enfin l'occident est la peur (ouh là c'est effrayant tout cela). Pourquoi ne pas avoir étudié chaque partie du monde à la loupe des trois émotions déjà nommées ? Comment peut on imaginer parler d'humiliation et de ne pas le rattacher au moins à un Etat comme la Chine qui s'est bâtie sur un siècle (19e-20e) qualifié par eux-même de siècle de l'humiliation ? Ben non l'humiliation c'est pour le monde arabe que voulez-vous ? C'était déjà pris, on ne pouvait tout de même pas faire doublons... Honnêtement à chaque fin de partie sur une région du monde, je défie quiconque de ressortir ce que l'auteur a développé à la lumière de l'émotion étudiée.
Pour finir, juste quelques points qui ont continué de creuser la tombe de ce livre.
La contre-analyse de la théorie civilisationnelle de Samuel Huntington la plus nulle que je n'ai jamais lu. Tout en lisant ce livre de Moïsi, j'avais à mes côtés le livre de Tzvetan Todorov, qui a écrit lui un ouvrage entier (de très maigre qualité sur la question toutefois) consacré à critiquer l'approche d'Huntington, je vous avoue ne pas avoir pu résister à l'idée de tenir entre deux doigts de ma main gauche les quatre minables pages écrits par Moïsi et de sous-peser de ma main droite l'ouvrage de Todorov sur la même question. D'autant plus que Moïsi n'évoque au travers de ses quatre maigres pages que des idées préconçues sur la théorie de Huntington qui me font honnêtement même douter que son auteur ait lu le livre qu'il critique, on en est tout de même à ce niveau...
Second problème, Moïsi traite un instant du monde arabe. Lui-même commence fort justement par mettre en garde contre cette appellation fourre-tout, expliquant qu'il distinguera entre chaque courant religieux, chaque partie, pour finalement... ne rien en faire et traiter la chose de manière bien générale à souhait. Catastrophique.
Bref, un très mauvais ouvrage, qui ne vaut pas d'être lu. Je conseille simplement à quiconque d'en tirer que c'est un penseur de plus qui donne de l'importance aux sentiments dans les relations internationales. C'est la seule chose à en retenir. Je vous redirige si vous le voulez bien vers le très bon travail de Bertrand Badie "Le temps des humiliés", qui se focalise sur l'humiliation dans les relations internationales et le fait très bien. Le livre de Bertrand Badie a peut-être quelques longueurs, mais il est très instructif, autrement plus que celui de Moïsi.