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On se sent soudain tout petit. Minus. Quand Bernard Noël entreprend d’aligner les mots en une folle farandole dérangée. On se dit qu’écrire n’est pas affaire de choix, qu’apposer mot sur mot, terme après terme, résonance brute du verbe apprivoisé, que ce miracle doit bien son occurrence à quelque coup de pouce divin, un coup de main d’autre part.

On se sent d’un coup maladif, un brin débile, fébrile. Quand Bernard Noël se lance et nous lance dans son monologue du Vous. Gageure insurmontable croyons-nous que ce monologue pluriel au double défi biographique. Double en effet car s’appuyant sur un vécu terrible, irréel. L’enfance brisée de Georges Bataille entre les lignes de Noël et leurs sonorités diablement autobiographiques. Autobiographe d’autrui, un peu de chacun en l’autre. Pendant que l’un dépérit intérieurement, victime prénatale de parents amoraux, l’autre s’exalte, s’emporte sans retenue, à en perdre le fil d’un récit jusqu’alors sérieusement borné, bannissant la rigueur historique au profit d’une plongée terrifiante dans les vices partagés. Absolument pluriel bien sûr, tant et si bien qu’il n’y a qu’à laisser agir le puissant élixir verbial, qu’à s’y abandonner un temps, même si le dégoût du vulgaire nous enjoint à fuir ces pages, même si la crudité crasse se fait torture. Car la multiplicité créative de l’œuvre fascine autant qu’elle effraie. Par sa forme autant que son fond, elle effraie. Par l’implication vraie qu’elle implique, elle restreint. Par la réflexion qu’elle amène, elle rebute. Par les noirs chemins qu’elle déploie, elle subjugue.

On se sent pourtant moins seul avec ces mots. Auprès de ces Vous si possessifs. Ces Vous qui vous prennent aux tripes, qui vous prennent à leur piège participatif. Vous êtes l’antihéros, le fou morbide. Vous êtes le réceptacle à sensations, le creuset à fantasmes déviants. Vous êtes l’enfant qu’on abandonne et torture, le père criminel puis victime, l’empathie du petit, la mère pieuse et sournoise, la terrible malfaisance humaine, la vengeance perverse, la chaise solitaire et les lourds rideaux. Vous êtes la chair partagée.

On se sent finalement épuisé, dépassé par l’écrasante maîtrise d’un auteur d’apparence si douce. Quand Bernard Noël parle – et il parle peu sans sa plume, il pèse chaque injonction longuement, en quête perpétuelle de vérité froide – le silence se fait car chaque intervention semble être testamentaire. On comprend alors qu’aucun mot n’est perdu pour Noël, que la plus interminable logorrhée, apparemment purgative, fut un travail acharné, un artisanat savant, ancestral. On saisit alors les fondements de cette autre religion, ce culte bizarre des mots où tout est prétexte à émouvoir, à créer un avenir depuis un passé néfaste, à détruire le connu pour offrir l’inconnu.
-IgoR-
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le 5 févr. 2015

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-IgoR-

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