Lydie Dattas rencontra un jour Jean Genet. Le lendemain, il lui signifia son bannissement : "Je ne veux plus la voir, elle me contredit tout le temps. D'ailleurs Lydie est une femme et je déteste les femmes". Révoltée, Lydie Dattas décide "d'écrire un poème si beau qu'il l'obligerait à revenir vers moi." "La nuit spirituelle" est la spirituelle réponse à cette condamnation misogyne.
Ouvrons ce livre : "La nuit est ma conscience même et n'a pour moi pas de fin... Parce que je suis une femme, condamnée à la plus humiliante infirmité, qui n'est pas celle du corps mais celle de l'âme, condamnée à vivre l'envers de toute spiritualité.." Si Adam et Eve furent chassés du paradis terrestre, pour la narratrice, la femme est exclue du paradis spirituel. Seule victime d'une double chute, la femme est maudite. Cette malédiction d'être femme et son humiliation sont sans remède...
Sa nuit intérieure et sa pauvreté spirituelle l'empêchent d'accéder à la Beauté : "il me faut demeurer au seuil de la Beauté comme aux marches d'une cathédrale admirable dont les vitraux éblouissants, pour mes yeux seuls demeureraient opaques..." Ainsi vit-elle la Beauté comme un manque inaccessible : "La Beauté est mon calvaire".
Comme la nuit, sa pensée "ne fera le jour sur aucun mystère", recouvre au contraire toutes choses "engloutissant jusqu'aux plus riches trésors". Confrontée à sa terrible condition, la narratrice l'affronte et l'assume : "C'est cette vérité que je vivrai, pour que mon âme brille de sa malédiction la plus noire."
Doit-elle se taire, "cloîtrée au fond d'une ignorance millénaire" ? L'auteure a été élevée dans le culte de la Beauté et décide de chanter la révélation crucifiée de sa propre nuit : "je m'efforcerai de faire de cette malédiction une beauté, de rendre cette malédiction si profonde et si sombre qu'elle en soit belle..." Le pari de Lydie Dattas fut parfaitement réussi. Après la lecture du poème, Jean Genet capitula et renoua avec un authentique poète, fut-elle une femme...