Voici une critique que j'avais réalisé lors de ma première année d'étude supérieure. J'ai conscience de sa grande imperfection et n'ayant pas tellement plus de culture ni de volonté pour m'y replonger, je ne reviendrai pas dessus. Le livre ne m'avait pas grandement passionné malgré sa grande utilité pour le "grand public".


Fiche de lecture - Pierre Rosanvallon, La société des égaux, Le Seuil, première édition, 2011, 430 pages


I - Introduction


L’auteur


Pierre Rosanvallon (1948- ) est un sociologue et historien français ayant travaillé pour l’EHESS et désormais au Collège de France. Ses thèmes de prédilection sont la “question sociale” (justice sociale et capitalisme) et le système politique français (la démocratie et ses évolutions). J’ai été familiarisé avec cet auteur à la lecture de La Crise de l’Etat providence (1981) que j’ai mobilisé durant les cours de SES. C’est un héritier de Tocqueville dans la mesure où il analyse la démocratie comme un véritable état social, pris dans ses enjeux politiques, sociaux et économiques. Il fut un fervent militant du parti socialiste d’où, peut-être, son appétence pour ce sujet.


B) Méthodologie et approche


Dans une approche historique, politique et sociologique, l’auteur fait une généalogie de l’égalité (comme concept et réalité politique) dans la société occidentale. L’égalité, par un prisme pluri-disciplinaire, est la fois vue comme un idéal concret et aussi comme un outil épistémologique. L’oeuvre est divisée en cinq parties elles-mêmes divisées en sous-parties. Ainsi, le lecteur ne risque pas d'être perdu tant chaque arguments est inscrits de façon cohérente au sein d’une partie que l’on pourrait presque étudier séparément. C’est une approche qui pourrait faire listing, encyclopédique au premier abord tant certains exemples, tout du moins précis, sont plus de l’ordre de la digression. Mais tout cela est enchaîné de manière cohérente ce qui sert le discours de l’auteur.


C) Présupposés et postulats


La démocratie n’est pas seulement un système politique particulier mais un véritable état social compris dans un système de valeur. Il tient donc de rendre compte de ce qu’est l’homme démocratique c’est-à-dire l’idéal-type du citoyen vivant en démocratie dont la machine pensante évolue nécessairement. Sur ce point, l’auteur est fondamentalement tocquevillien dans la mesure où il admet que l’idiosyncrasie de l’homme démocratique est sa propension à l’égalité. Une démocratie ne peut exister que si elle égalise les individus. Cependant, ce n’est pas une force coercitive transcendantale, car c’est dans l’exercice même de la démocratie que les citoyens consentent presque naturellement à se rapprocher de ses concitoyens, en devenant égal à autrui. Dés lors, l’égalité est la valeur centrale de la démocratie et nous pouvons affirmer qu’elle ne peut pas exister sans elle. C’est parce que les individus voulaient être égaux qu’ils ont établit la démocratie lors des révolutions. Néanmoins l’égalité, sans être directement un mot polysémique, n’est définie que dans des contextes particuliers. En effet, elle n’est conçue que comme un moyen en vue d’une fin. A ce titre, l’auteur analyse et conceptualise plusieurs formes de l’égalité qui sont abordées dans un lieu précis à un moment donné. Enfin, une crise de la démocratie ne peut donc être expliqué que par une crise de l’égalité. C’est à ce titre que P. Rosanvallon posera les questions et les enjeux d’une société des égaux.


D) Problématique et questionnements


D’abord, l’auteur part d’un constat simple: il y a dans la plupart nos démocraties occidentales actuelles une « crise de l’égalité ». Cela s’observe empiriquement avec la montée des inégalités depuis les années 1980 — et à ce titre, l’auteur se base sur les données de Thomas Piketty dans Le Capital au XXIème siècle — et cela est également visible avec un savoir plus théorique qui établit un consentement à l’inégalité. C’est à partir de cela que l’auteur base tout son ouvrage. La longue histoire de l’égalité qu’il fait pendant une grosse partie de son ouvrage n’a pour but, au final, que de proposer des solutions: « Ce livre n’a d’autre ambition que de poser la première pierre de cette entreprise de refondation. » (p.23). Du reste, toute l’oeuvre est implicitement traversée par des questionnements dont certains empruntés à d’autres puis réactualisés: Comment le système de valeur démocratique basé sur l’égalité a-t-il émergé ? Qu’est-ce qu’il implique de faire et dans quel(s) but(s) ? Comment prend forme cette égalité ? Quels sont ses enjeux ? Qui l’a utilisé ? Quelle est sa force reproductrice ?


II - Analyse de l’ouvrage


L’émergence de l’égalité avant tout pour contenir les inégalités



  1. Les inégalités sociales
    Révolution signifie avant tout prise de conscience, puis révolte et opposition. C’est à ce titre que les euro-américains aspirent à l’égalité. La démocratie n’émerge dans les consciences que plus tard. L’impératif matériel direct est de contenir les inégalités d’où une conceptualisation de l’égalité. En effet, la société hiérarchiques des trois ordres devient insoutenable. Ce que l’historien E. P. Thompson appelait l ‘« économie morale la foule » ne peut plus être contenu face au criant « racisme nobilaire ». P. Rosanvallon se base alors sur une idée de Tocqueville selon laquelle les différences entre la noblesse et le Tiers-état sont tellement fortes qu’ils ne se considèrent pas de la « même humanité ». Ainsi, Rousseau puis surtout Sièges sont les véritables concepteurs de l’égalité comme rempart face à la hiérarchie manifestement disruptive du lien social. L’avènement quasi-simultanée de l’égalité comme idée sociale et de la démocratie comme organisation politique confirme la thèse de Tocqueville. Il y a également l’aspiration à la liberté. En ce sens, et à cette époque, liberté et égalité devaient être ensemble. En effet, les inégalités de la société d’ordre ne permettaient pas de donner à chacun la liberté d’accéder aux mêmes opportunités. « L’idée de société des égaux renvoie dans ce cas à une forme de relation sociale, à un type de société, dans laquelle nul n’est soumis à la volonté d’autrui. […] L’autonomie s’inscrit nécessairement là dans le cadre d’une réciprocité active » (p.39-40)

  2. Les inégalités économiques
    Prenons une lecture marxiste: l’organisation sociale est déterminée par un mode de production donnée c’est-à-dire par les conditions matérielles qui organisent la richesse et le travail. Ainsi, on peut voir dans l’émergence de la société des égaux, une aspiration à l’entreprise économique libre. C’est une des raisons par laquelle d’une part, les révolutions furent des révolutions bourgeoises (élites économiques et/ou intellectuelles non-nobles) et d’autre part que le libéralisme politique et économique allaient de pair. La notion de propriété de Locke et le libéralisme de Smith étaient donc d’abord en faveur d’une société des égaux: « L’échange économique constituait dans ce cadre une des modalités d’exercice de l’égalité-relation. En échangeant le fruit de leur travail, c’est leur condition d’égaux en indépendance que les hommes affirmaient et leur relation d’égaux en interdépendance à laquelle ils donnaient vie. » (p.46)

  3. Les inégalités politiques
    La transmutation du peuple passant de sujets à citoyens eu un impact fort (encore durable) sur les consciences individuelles. C’est donc socialement et juridiquement que la société des égaux devient effective: « La citoyenneté est la troisième modalité d’expression d’une société d’égaux. L’égalité s’exprime dans ce cas sur le mode d’une inclusion, d’une participation. Le citoyen considéré sous les deux espèce d’un sujet, porteur de droits propres, et d’un membre d’une communauté. Il est individu et peuple » (p.55). La notion de sujet était infériorisante et la notion de tiers-état était excluante. Ici, l’individu retrouve du sens et une substance dans un état social égalitaire. C’est véritablement à ce moment que la sociologie (interactionniste) prend son sens: la société se retrouve en l’individu et l’individu se retrouve dans la société. Sans entrée dans des considérations trop micro-sociologiques ou psycho-sociologique, l’auteur utilise cette idée (tout en la développant plus tard): « Le citoyen est, pour le dire autrement, la figure de la généralité qu’il y a en chaque individu. » (p.57). Les rapports, loin d’être symétrique, engendre ainsi une similitude en faveur de l’idéal égalitaire: « La similarité doit être comprise comme le fait de vivre en semblables. » C’est là que la fraternité peut se comprendre. Par l’incarnation individuelle à lieu des incantations collectives entendue par là l’émergence d’un modèle singulier symbolisant les valeurs d’une société (Stakhanov pour l’URSS): « L’homme quelconque est devenu en 1918 l’incarnation de l’individu-société. » p. 255. Cette échange entre singularité, réciprocité, similarité et finalement égalité sera longuement développé dans les dernières parties de l’ouvrage.


B) Les différentes formes de l’égalité (approche plus contemporaine)


L’égalité, comme pure abstraction, ne saurait être effective. C’est dans des domaines bien particuliers qu’elle doit s’appliquer. L’égalité devient donc un concept non pas plurisémique mais pluridimensionnel. A cet égard, il faut noter la multitude des formes d’égalité qu’emploie l’auteur qui ne sont pas toujours définies et compréhensives. A mon sens, cela relève plus d’un exercice de gymnastique conceptuelle que d’une réalité effective. C’est en opposant et en complétant divers conception de l’égalité que P. Rosanvallon parvient à nous livrer une liste exhaustive rendant compte de la difficulté d’analyser une société de plus en plus fragmentée mais néanmoins structurée. La triptyque classique d’égalité des chances, égalités des droits et égalités des fins entre dans nuances de plus en plus fine.

Egalité-relation ; une égalité qui, pour être efficace, ne doit pas considérer les individus isolément mais pris dans des schémas d’interaction.
Egalité-réciprocité ; une égalité qui n’est pas qu’un rapport linéaire de A vers B mais aussi l’inverse.
Egalité-homogénéité
Egalité arithmétique ; à chacun selon ses besoins
Egalité géométrique ; égalité stricte (= égalitarisme)
Egalité abstraction
Egalité des chances
Egalité dans la différence (= isonomie)
Egalité dissociative
Egalité d’interaction + réciprocité d’implication
Egalité complexe (M. Walzer)« Cela conduit aussi à simplifier l’idée d’égalité en la rapportant aux trois façons d’être avec autrui: dans une position relative, en interaction, dans un lieu de participation » (p. 405)
Egalité distribution
Egalité liberticide
Egalité de corps
Egalité des chances probabiliste ou possibiliste
Egalité sociale des chances (equality of fair opportunity de Rawls)
Egalité institutionnelle des chances
Projet d’égalité statistique des chances
Egalité correctrice des chances
Egalité permanente des chances
Egalité procédurale
Inégalité d’équilibre ; « Le critère décisif à prendre en compte pour apprécier le passage de l’équilibre au déséquilibre en la matière est celui du point de basculement partir duquel les inégalités forment une contre-nature, se cumulent et se figent en une implacable nature adverse. » (p. 404)


C) La crise de l’égalité


La route de l’égalité n’est pas un long fleuve tranquille car la démocratie n’est pas un état stationnaire mais un état de conquête permanente pour affirmer ses valeurs. A cet égard, l’auteur observe une crise de l’égalité à la fois exogène et endogène. Les poisons de l’égalité étant ainsi la reproduction sociale, la démesure et le séparatisme.



  1. Matérielle
    Avec la financiarisation de l’économie, les inégalités de patrimoine (et par extension de revenus) n’ont cessé de croitre depuis les année 1980. Près de 1% de la population mondiale détient environ la moitié des richesse mondiale. Ces inégalités économiques entrainent ainsi des inégalités sociales: « Les inégalités résultent dorénavant autant de situations (donc individuelles) qui se diversifient, que de conditions (donc sociales) qui se reproduisent. » (p.309 ) ; et peuvent être comprise à plusieurs niveau: entre les régions du monde, entre les femmes et les hommes, entre certaines ethnies. L’auteur aborde ces aspects dans l’espace et dans le temps.

  2. Idéologique
    Face à cette crise d’efficacité des institutions, un sentiment nait au sein de la population: une délégitimisation du combat pour l’égalité. Les inégalités deviennent alors tolérées voire acceptables. Mécaniquement cela constitue un effet négatif pour la démocratie. A cela, la société de consommation et la société du spectacle ont grandement favorisé la détérioration de l’idéal démocratique. « Dans cette société de concurrence généralisée, l’image du consommateur est sacralisée. » (p. 326) ; à l’homme démocratique aspirant à la liberté, l’égalité et la fraternité se substitue l’homo oeconomicus, hédoniste voire capricieux et supposément rationnel. « Mais cette idéologie de la concurrence généralisée ne s’est pas imposée par un coup de force ou une capacité de mystification d’un groupe de pression « néolibéral ». Il faut bien comprendre qu’elle s’est affermie au fur et à mesure que le désenchantement démocratique prenait de l’ampleur dans le monde développé. » (p. 327 - 328) nous prévient P. Rosanvallon. Cela amène, nous pas à une destruction totale de l’égalité, mais à une reconfiguration de ce concept au sein des institutions comme au sein de la société. En ce sens, il faut bien parler d’un retour de la Méritocratie (cf Michael Young) qui est, du moins en France, vendu comme étant consubstantielle à l’idéal républicain. « L’idée d’égalité des chances est inséparable de l’échos méritocratie dans lequel l’individualisme démocratique a baigné dès l’origine. » (p.333) ; c’est donc une aliénation de l’égalité qui considère ainsi l’individu comme totalement responsable de son destin social comme si toute sa situation dépendait de sa seule volonté, tout cela dans une confusion entre « vertus naturelles » et « vertus d’établissement » pour reprendre des concepts pascaliens. « Faire reposer une théorie de l’égalité des chances sur la seule distinction du volontaire et de l’involontaire met aussi en place une sorte de machine infernale à produire de la défiance sociale. » (p.341) ; pour les plus libéraux, seul l’égalité des chances doit être permise. Mais tout n’est pas à jeter, l’auteur se demande à quelle condition elle peut être efficace ou se doit d’être complétée: « [L’égalité des chances] flotte entre les deux pôles de la pure égalité sociale et de la simple égalité des droits. Elle peut guider des politiques réformatrices ponctuelles, mais non dessiner une véritable philosophie sociale. » (p. 345) ; « Le problème est ainsi que les théories de l’égalité des chances appréhendent la question des inégalités au seul prisme d’un critère de justice appliqué à l’évaluation des situations individuelles. L’égalité est une question de vie sociale autant que de justice individuelle. » (p. 352 - 353). La cause matérielle, étant l’extension marchande, est par ailleurs à combattre: « La réduction des inégalité doit par ailleurs se lier dans l’ordre économique à une entreprise de démarchandisation du monde, qui met l’accent sur le développement et le partage des biens publics. » (p. 408)


E) Refonder l’égalité


P. Rosanvallon offre une analyse pertinente qui ne manque pas de donner des pistes de réflexions. Le savant qu’il est parvient à apporter des réponses au politique. Mais c’est également au citoyen que ce livre s’adresse. Point de jugements normatifs mais son raisonnement amène à repenser la société des égaux qui ne peut être permise que par une réduction sinon une limitation de l’ethos capitaliste.
Participation - intercompréhension - circulation (p.394)
Singularité - Réciprocité - Communalité
Ces triptyques conceptuels sont un peu « vaporeuses » mais donne, comme nous l’avons dit en haut, des pistes, des éventuels plans pour un chantier. Par ailleurs, il offre un impératif presque indiscutable: « La sobriété est devenue une condition de la survie de l’espèce humaine. » (p. 408)


III - Critique de l’ouvrage


Une ambition remplie


Le livre parvient effectivement à donner un panorama complet de l’égalité à travers l’histoire moderne. L’essence de la société des égaux est parfaitement située.


Le style de l’ouvrage


Une écriture lourde et peu marquante
L’utilisation de l’imparfait renforce peut-être cette lourdeur que j’ai ressenti. De plus il y a l’emploi fréquent de tournure de phrase peu marquante notamment dans les débuts de phrase: « On », « c’est », « il y a ». Les concepts s’enchainent logiquement certes mais ne contribue nullement à une esthétique du livre. A titre personnel, quelques citations m’ont bien marqué mais ce sont surtout les références mobilisées que j’ai retenus.
Un ouvrage trop encyclopédique donc pas assez personnel
Quasiment toutes les pages sont parsemées ne notes mais surtout de références que P. Ronsanvallon emprunte à d’autre auteurs. Quoique intéressant, nous sommes vite noyer dans cette masse d’information et la distinction entre la pensée originale de l’auteur et ses réinterprétations est floue.
Pas de questionnements des concepts qui s’enchainent trop mécaniquement
Ce n’est pas une réelle critique que de s’opposer à la thèse que nous défendons et c’est un travers dans lequel tombe ce livre. Ainsi, il n’y a pas vraiment besoin de détailler les ennemis de l’égalité sitôt que l’on a définit la société des égaux tant ils apparaissent clairement. Les concepts ne sont pas toujours assez explicités et manque de rétrospections et d’auto-critiques. Par là, je pense que c’est un défaut que d’employer des concepts sans les avoir questionner au préalables mais ça ne gêne pas la cohérence du propos de l’auteur. Cet aspect mécanique et encyclopédique donne l’illusion que le livre est téléologique, que la société des égaux devait nécessairement aller dans le « sens de l’Histoire » or l’auteur est bien conscient que ce n’est pas le cas.


C) Désaccords sur les présupposés


Tout désaccords de position repose non pas tant sur des éléments précis que sur des critères de jugement. Et en ce sens, je ne rejoins pas l’adulation qui est faite à l’égalité (pourquoi serait-elle la valeur suprême pour faire société ?). Il est clair que son argumentation est inattaquable mais je n’accorde pas la même pondération à certains éléments de la démocratie. Néanmoins, je suis d’accord sur bien des points mais certaines formulations et surtout affirmations qu’il fait mériteraient à mon sens une critique. Grand tragique je suis, je n’ai pas apprécié l’utilisation d’un certains pathos déterministe (avec certains jugements moraux) que l’auteur fait ; du même coup je le trouve trop idéaliste.

Vanbach
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le 11 mars 2020

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