L'insomnie peut vous amener à faire bien des choses, comme par exemple consommer un produit issu de l'industrie culturelle. Et en un sens je me retrouve désarçonné face à cette entité multiforme qu'est Emily in Paris. Désarçonné, car il y a à la fois tout et rien dans cette série. C'est un sentiment que je ne m'attendais vraiment pas à avoir face à un tel produit. Cela me pousse à faire un pas de coté afin d'écrire cette critique. En effet d'ordinaire je tente d'écrire modestement sur des oeuvres esthétiques qui m'ont touché et même si je qualifie certains films de « mauvais », ils n'en restent pas moins des propositions artistiques. Ici, face à l'industrie culturelle, je ferai un exercice un peu différent.
Qu'est-ce que c'est qu'au fond Emily in Paris ? L'évidence première voudrait que ce soit une série de divertissement innocente sur la rencontre des cultures française et étasunienne, sur ce fameux étonnement romantique que peut avoir une WASP CSP+ qui vient vivre Paris. Et là ça nous évoque le Paris est une fête d'Hemingway — livre qui m'a passablement ennuyé, ça m'apprendra à le lire en français — ou encore les films de Stanley Donen. Mais Netflix n'est pas Donen ou Hemingway, c'est encore autre chose. Ce n'est plus d'art dont il s'agit mais d'une marchandise culturelle standardisée. Et là pour critiquer la marchandise, il faut critiquer le marché. Par conséquent je parlerai peu de la qualité intrinsèque de la série, qui sans surprise est médiocre tant au niveau de l'écriture (critère premier pour une série) que de la mise en scène (critère bien souvent inexistant), et je tenterai plutôt de la remettre dans la séquence du paradigme marchant du spectacle en parlant de à quel discours renvoie tel procédé.
D'abord posons une question simple, c'est qui ou plutôt c'est quoi Emily ? Une jeune femme dynamique qui travaille dans une startup (ou on ne sait trop quoi) et qui vient à Paris. Basique me direz-vous et à cet effet précisément Emily n'a rien d'extraordinaire puisqu'elle est caractérisée par peu de chose : elle fait de la course à pied (sans transpirer), travaille dans le tertiaire (avec le sourire), a un mec qui correspond aux standards physiques du moment (je ne parlerai ici pas de beauté), a des idées innovantes etc... Bref elle a un bon capital humain. C'est en d'autres termes un bon archétype, bien dosé pour que toutes les jeunes femmes et adolescentes puissent se projeter en elle sans trop de difficultés. Mais, chose importante, elle va vivre à Paris (pas comme toute les jeunes femmes donc), ville qui est encore assez nébuleuse pour l'Américain moyen qui ne sait pas forcément la placer sur la carte (c'est vérifiable). Emily débarque dans donc cette ville dont elle connait peu de chose — pour ainsi dire rien du tout — et sent qu'elle est un atout pour cette entreprise.
We can learn from each other
Se transformant rapidement en « je sais que je peux vous apporter un truc » (on ne sait trop quoi bien entendu). Elle se sent presque investie d'une mission. Serait-ce une espèce de Destinée manifeste ? Je surinterpréte peut-être.Toujours est-il qu'Emily a des idées et qu'elle a envie de donner des leçons aux autres (dont elle ne connait pas la culture, faut-il le rappeler).
Qui sont ces autres ? Des archétypes américains mais francisés pour coller à l'ambiance parisienne : le Noir homosexuel, la patronne plus âgée qui est aussi une rivale, le bras droit sympa et moche, le voisin beau gosse, le mec influant beau gosse. Ce sont bien des archétypes américains et pas des personnages car ils n'ont aucune nuance, aucun relief, ils n'existent que pour participer à ce simulacre de Paris mais nous voyons bien que tout ça est conçu aux Etats-Unis pour les étasuniens. Même la chinoise est fausse (ce qui est le comble). Y'a vraiment zéro effort de fait, ça se voit qu'elle vient de L.A et pas de Shanghai ; pas besoin de vivre dans le XIIIe pour savoir à quoi ressemble une chinoise qui vit dans Paris. Mais c'est bon on a le quota asiatique, on se sent représenté, tous les asiatiques sont interchangeable et aussi tous les chinois parlent dans le dos des autres tant qu'à faire. Et puis franchement, je veux pas faire mon Finkielkraut, mais personne ne s’habille comme elle s’habille dans Paris, à moins d’aimer se faire emmerder sous Les Halles (et quand je dis « emmerder » je pense à bien d’autres choses). Bref on fait du faux avec du faux.
Cet empire du faux résonne dans les dialogues insipides filmés en champ contrechamp créant cet effet ping-pong insupportable (mais comment les gens font-ils pour avaler ça en boucle ?). Il résonne également dans la mise en scène très paresseuse. Certes au moins les décors sont vrais, mais la photographie est complètement aseptisée, passée au rouleau compresseur américain, il ne reste rien de l'authenticité de Paris. Il y a pourtant mille façons de montrer Paris mais non il faut filmer ça comme un parc d'attraction. Voilà donc la vision du monde qu'ils ont et c'est encore mieux avec de la musique de merde aseptisée pour assurer les transitions (on est incapable de le faire par des moyens de mise en scène).
Car Paris n'est qu'une promesse d'expériences pour les barbares d'outre-Atlantique. Ces expériences nous ne les vivons pas, et la femme moyenne de base ne les vivra jamais non plus. Il faut représenter, photographier tout ce qui était directement vécu.
Il faut le faire avec un téléphone qui a une coque d’appareil argentique pour faire faussement authentique. Et plus Emily publie des photos insignifiantes, plus elle gagne des followers (alors qu’elle en avait vraiment peu au début). Comment concrètement tu peux percer avec des trucs aussi insipides ? Comment tu peux gagnés des abonnés en filmant des fromages et en prenant un égo-portrait avec ta boulangère ? Donnez moi la recette ! Ça dit une chose pour l’ado de base : plus tu publies des trucs vains et sans intérêts, plus tu existera dans ce monde de faux-semblants. Mensonge ! Mensonge qui se poursuit avec la vie pratique que mène Emily, dans sa fameuse chambre de bonne de 30 m*m parfaitement rangée et décorée en plein centre de Paris. Mensonge enfin dans le petit déjeuner. Qui pourrait s’extasier sur une chocolatine (oui je suis de Bordeaux) à part des gens qui ont le palais pourri par de la bouffe de merde ?
Mais être une femme aliénée et aliénante c’est pas si facile. Le scénario a alors l'astuce de créer des intrigues autour d'une part de l'acceptation au travail et finalement dans Paris (puisque la culture n'existe que par le travail) et d'autre part des intrigues amoureuses pour faire mouiller le public féminin, puisque les femmes n'ont que ce genre de problème dans la vie. Soit Emily produit, soit elle consomme, soit elle est amoureuse. Belle image de la femme moderne néolibérale. D'ailleurs elle le dit elle-même
I enjoy work and accomplishment
Voici des mots qui trouvent forcément écho dans notre startup nation. Dans cette mascarade, après le quota racisé (sic), vient le point féministe avec B. Macron, symbole de l'empowerment au féminin qui reçoit très volontiers les leçons d'Emily travaillant sur un produit qui a un rapport avec le vagin — tout tourne autour du bas ventre car sinon le spectateur s’ennuie. Leçon qu'elle dispense également au chef d'un restaurant qui est en fait son voisin du dessous sexy, quelle coïncidence. Et sa copine de finir sur un
Try his meat
Ça m'a fait soufflé du nez mais ça m'a surtout montrer le rapport malsain de la série (et du marché) au sexe. En gros il faut être sexy (donc attirer les hommes) mais être féministe quand même (donc indépendante d'eux).
Sexier, happier
Ce double discours, dommageable dans la réalité, est ici rendu complètement ridicule par le puritanisme anglo-saxon.
You need a French boyfriend to learn French
Sans rires, qui a écrit ça ? Par contre n’oubliez pas de balancer vos porcs à coté ! Le comble, mais finalement assez attendu, vient avec la scène du sexe virtuel. Bien évidemment on ne voit rien du tout mais surtout ç ne vient pas naturellement et ça n'installe rien du tout comme ambiance. C'est juste un cahier des charges, un passage obligé pour faire une petite blague (bon et pour en avoir fait ça ne vient pas du tout comme ça).
Pour finir cette série peut être vue comme une synthèse de toute la merde ambiante que produit Netflix et le société du spectacle. La seule chose marrante dont on peut en tirer sont les mèmes de Twitter qui moquent la fausseté de la série. En effet on ne montre jamais Emily galérer dans le RER ou pour avoir son visa...
A la fin du premier épisode, je suis allé aux toilettes croyant que j’avais envie de chier mais rien n’est sorti. Comme cette série en fait.