Alice Hartley, se remet péniblement d’une typhoïde qui la laisse exsangue. Sa mine maladive et sa silhouette diaphane la desservent et inquiètent : personne ne veut d’elle à son service. Quand la chance tourne : elle décroche au bout du compte une place de femme de chambre et de dame de compagnie à Brympton Place sur les bords de l’Hudson. Madame est elle aussi chétive qu’elle, et incarne la gentillesse même. Monsieur, lui, est presque toujours absent et la domesticité a rapidement appris à redouter ses retours inopinés.
Pour appeler Alice à ses côtés, Madame a l’habitude de la faire chercher par Agnès, une autre domestique. Jamais elle ne se sert de la sonnette qui relie sa chambre à celle de sa dame de compagnie. Alice s’en étonne mais aucune réponse ne vient satisfaire sa légitime interrogation.
Ambiance froide, austère dans ce manoir sombre et isolé. Lourde atmosphère dans la veine de Jane Eyre de Charlotte Brontë ou du Tour d’écrou d’Henry James. Ambiance vieille Angleterre du XIXe siècle qui prend le lecteur aux tripes, lui interdisant de poser le bouquin avant d’en connaître le mot de la fin. Car dans ce huis clos oppressant, la domesticité a peur. Et cette peur est palpable. Alice la ressent dans tout son être sans parvenir à se l’expliquer. Il se passe quelque chose dans cette maison, elle en est certaine. D’ailleurs, le jour de son arrivée, n’a-t-elle pas croisé dans le couloir menant à sa chambre, Emma Saxon, l’ancienne femme de chambre que Madame affectionnait tant, Emma Saxon, décédée ? Emma Saxon qui occupait la petite chambre en face de la sienne et dont Madame a depuis interdit l’accès ? Et quelles relations lient réellement Madame et son mari ? Que lui cache t-on ? En jeune femme bien élevée, Alice s’interdit de poser la moindre question. Elle se contente d’observer.
Puis une nuit, la fameuse sonnette quitta sa légendaire immobilité et sonna…
La sonnette de Madame est une courte nouvelle et d’une incroyable efficacité. Edith Wharton parvient à créer une ambiance noire et magnifiquement inquiétante en très peu de pages dans laquelle le lecteur plonge entièrement dès les premières lignes. Une écriture vive, percutante. On est dans la peau d’Alice, on se prend à regarder de tout côté, à se retourner pour vérifier que le coup tant redouté n’arrivera pas de derrière.
Magique !