Colombo en 1954. Le livre s’ouvre alors que l’auteur – âgé de onze ans – découvre le paquebot illuminé de mille feux sur lequel il va s’embarquer à destination de l’Angleterre. Il a toujours vécu sur cette île où il est né et qu’on appelait encore Ceylan. Il doit rejoindre sa mère qui l’a précédé dans son périple de quatre ou cinq années. Embarquement vers l’inconnu. Et seul : pas un parent pour l’accompagner. Juste une relation de la famille qu’il appelle « ma tante » et qui a promis de jeter de loin en loin un œil sur lui durant la traversée. Surveillance qui sera pour le moins légère. Et une cousine (Emily) âgée de 17 ans que l’enfant retrouve par hasard à bord. Autant dire qu’au cours des 21 jours de mer que doit durer le voyage, l’enfant va être livré à lui-même. Avec ses deux amis Cassius et Ramadhin connus à la « table des autres » (celle des petites gens sans importance, reléguée dans le coin de plus inconfortable de la salle de restaurant et la plus éloignée la table du commandant), Michael (Mynah) va visiter le bateau de fond en comble, de la cale aux salles des machines, du pont de la classe « tourisme » à la cabine du commandant. Et faire les quatre-cents coups.

La première partie du roman (de Colombo jusqu’à l’arrivée du navire à Port Saïd au sortir du Canal de Suez), l’auteur nous livre la vie à bord sous forme d’anecdotes. Les repas bruyants à la table des autres qui semblent tant déranger les autres convives. Les allées et venues des passagers : la jeune patineuse australienne qui fonce à toute allure sur les ponts déserts un peu avant l’aube, Miss Lasqueti, sa cousine Emily, le « Baron » roi de la cambriole, Mr Hastie qui partage sa cabine, la muette Asuntha, l’érudit Mr Fonseka… Les promenades nocturnes du mystérieux prisonnier étroitement encadré par ses geôliers. La tempête qui manqua de peu de leur coûter la vie à Cassius et à lui-même. L’improbable jardin d’Eden qui pousse à fond de cale. Je commençais à m’ennuyer un peu, engourdi par le temps qui s’écoule lentement à bord, le ronronnement des moteurs et la chaleur ambiante. Il ne se passe pas grand-chose : la vie d’un bateau contemplée par les yeux d’un enfant curieux de tout mais qui n’en perçoit et n’en comprend qu’une partie. Vision assez superficielle et fragmentaire : première partie à laquelle il manque logiquement de la profondeur et une certaine âme.

Puis, alors que l’Oronsay franchit les derniers kilomètres du canal, l’auteur se projette tout à coup dans le temps. Il est maintenant trentenaire et vit au Canada. Il revient quelques jours à Londres à l’occasion des obsèques de Ramadhin, son meilleur ami, décédé brutalement. Les souvenirs évoqués sont maintenant ceux d’un adulte. Les personnages prennent dès lors de l’ampleur, de ce « volume » dont ils manquaient tant jusque là. Un second départ. A partir de ce moment, l’auteur va alterner l’évocation de ses souvenirs d’enfant sur le navire, et une narration plus générale qui donne régulièrement la parole aux autres protagonistes devenus eux aussi adultes, jetant ici et là des informations qui, peu à peu, vont trouver leur place et tisser des liens entre les personnages campés au début du voyage. A tort ou à raison, j’ai alors pensé à Boualem Sansal (ce qui est évidemment un compliment) et à sa manière de distiller ses indices pour prendre discrètement le lecteur dans ses filets. Plus d’ennui ni de torpeur. Je me suis bel et bien laissé ferrer sans m’en apercevoir : je ne peux plus poser le livre sans m’irriter du contre temps. L’écriture d’Ondaatje me porte à travers le temps et la Méditerranée jusqu’à ce que l’Oronsay remonte finalement la Tamise en direction de Londres. Une réussite.
BibliOrnitho
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le 17 sept. 2012

Modifiée

le 17 sept. 2012

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