La tactique katangaise par Rosaeighta
Le Katanga tactique (p108)
Namur, plaque tournante de la Belgique. Connaissez-vous l'histoire du XXe siècle ? Connaissez-vous le lien entre le Katanga, Namur et Le musée Africain? Saviez vous « que la défaite de Waterloo était prévue et cryptée dans une grammaire scolaire espagnole » (p.187)? Nicolas Marchal déborde d'imagination et apporte un regard nuancé sur la société actuelle à travers les pensées des différentes générations, plus ou moins influencées par le XXe siècle. Il met en avant la question de l'identité ainsi que le besoin d'être une personne importante dans la société, de se sentir aimé. Le roman propose un moment de détente et invite à la réflexion.
Professeur belge, originaire de Namur, Nicolas Marchal a reçu le Prix Première 2009 pour son premier roman intitulé Les conquêtes véritables. Aujourd'hui, son second roman La tactique Katangaise est un réel succès écrit sur un ton ironique voire cynique qui peut être lu à différents niveaux. Le livre y a toujours une place importante. Cependant le contexte diffère : le Congo joue un rôle central.
Quatre histoires menées en parallèle incitent le lecteur à s'investir dans la lecture du roman. Il ne faut pas chercher à vouloir tout comprendre mais simplement se laisser porter par l'écriture. Même si au début la lecture peut s'avérer plutôt fastidieuse, cette première impression est dépassée lorsque par un effet de style, l'auteur parvient à envoûter le lecteur. Il est néanmoins à déplorer que l'éditeur ait laissé de nombreuses fautes dans le corps de l'ouvrage, ce qui peut en déranger certains.
Le fait que la longueur des phrases alterne entre très courte et très longue et que leur structure soit quelque peu atypique fait penser à l'écriture automatique des surréalistes. Le résultat de certains paragraphes semble n'avoir ni queue ni tête. Certains débordent de détails alors que d'autres en sont totalement dépourvus. Le lecteur a l'impression que l'auteur se laisse porter par l'écriture et permet de se trouver dans une sorte de rêve où l'auteur fait passer envie et sentiments. Néanmoins il aborde des sujets graves tels que la question de l'identité, l'amour, le vieillissement, le mensonge, le souvenir... Autant de thèmes qui peuvent susciter une polémique et engager la discussion. L'auteur porte un regard critique sur le monde actuel. « Tu le vois ce train là-bas qui file sur le viaduc ? Tu vois à quelle allure il va ? Quelle vitesse ? C'est incroyable comme tout va si vite aujourd'hui, les voitures, les gens sur les trottoirs, les trains. » (+p)
Le contenu du livre n'est pas la priorité mais un plus. Certains parallèles (allégories) notamment pour exprimer une sorte de morale sont interpellant : « Je lui dirais que le carrelage est froid. Et dur. Je lui dirais et bien oui c'est comme la vie, je veux dire la Grande Vie, l'Aventure, l'Action, c'est froid, c'est dur, c'est pas pour les comiques. »
L'auteur met en avant les pensées des différents protagonistes. Le narrateur homodiégétique et omniscient facilite l'identification, étape primordiale pour que le lecteur soit en confiance. Cependant l'instabilité reste toujours de mise due au style d'écriture.
Stan, le professeur d'histoire, la grand mère de Stan, le vieillard ont chacun leur histoire, leur vécu et leur avenir. Mais qui sont-ils réellement ? Quels messages essayent-ils de faire passer ? Comment ces quatre personnages n'ayant au départ aucun lien vont-ils se rencontrer, avoir une partie de leur histoire en commun ? Avec un tel titre, il semble évident que le mot tactique ait une consonance plutôt militaire. Ce livre traiterait-il d'une méthode guerrière ? Et bien non, l'auteur leurre le lecteur. Le lecteur pourrait aussi croire à un roman historique mais ce n'est pas du tout le cas. Le roman est plutôt psychologique car le lecteur connait les pensées des différents protagonistes d'où le narrateur omniscient.
Un même individu peut être vu différemment selon chacun. La façon dont une personne veut être perçue influe également. Par exemple aux yeux de Stan, Cynthia est la femme parfaite, idéale, le modèle alors qu'aux yeux du professeur, Foylon, elle évoque l'inverse. Pour le vieillard, elle représente encore autre chose...
Même si au début les personnages nous semblent lointains, l'auteur parvient à mener le lecteur à l'identification d'un ou de plusieurs personnage. Comme les histoires sont mises en parallèle l'identification est plus aisée. Du coup, les questions présentes dans le roman interpellent le lecteur personnellement, il se sent impliqué dans l'histoire. En outre, les différents protagonistes appartiennent chacun à une génération différente : adolescence, âge mur et vieillesse.
L'histoire de la Belgique est mise en avant avec une remise en contexte international. Et puis ce gars qui fait des liens totalement incongru. Pourquoi condamner sa façon de penser. Il est en marge de la société certes mais tout à fait respectable. En effet comme choix de mémoire la démonstration est peut être un peu osée mais n'est ce pas aussi le fruit du hasard et de parallèles incongrus si la société est telle aujourd'hui ? L'évolution, la technologie, les sciences ne résultent pas d'une part de chance et d'acceptation de théorèmes ? Pourquoi une preuve mathématique (scientifique) serait-elle plus respectable qu'une innovation dans la manière de faire des liens et d'expliquer l'histoire ?
« J'avais en effet démontré, en appliquant rigoureusement la "toile", que la défaite de Napoléon à Waterloo était cryptée dans une grammaire scolaire espagnole, que cette défaite avait permis de grandes découvertes en biologie moléculaire, que sur un plan allégorique on trouvait de nombreuses traces de cette défaite dans un roman noir américain du XIXe siècle écrit par l'arrière-grand-oncle de JFK lui-même, comme par hasard assassiné la même année que la réédition de ladite grammaire espagnole, et j'avançais dans ma conclusion une nouvelle théorie sur le choix d'Hiroshima – ville moins anodine qu'on le pense – pour faire sauter la première bombe. [...]Bien entendu, j'avais mis le doigt sur quelque chose de trop gros pour moi. » ( p. 187)
In fine, ce roman est un roman de grande tolérance qui traite de sujet grave sur un ton plutôt léger et qui permet une réelle remise en question.
Nicolas Marchal, La tactique katangaise, Bruxelles, Editions La muette et Le Bord de l'eau, 2011, 234 p.