Il a beau être bien né dans une famille de l’aristocratie allemande du XIVe siècle, Mardochée de Löwenfels a une sacrée poisse. Est-ce lié à ce drôle de prénom juif qui lui colle aux basques, hérité d’un vœu pieux d’un ancêtre croisé ? Toujours est-il qu’entre sa lutte fratricide avec son aîné, de premières amours bien mal engagées et des rapports plus que froids avec ses parents, les jeunes années de Mardochée sont placées sous de sombres auspices. Et lorsqu’un dernier accrochage avec son frère le force à se lancer sur les routes, Mardochée échoue carrément dans les bas-fonds de la société.
Jeté dans le vaste monde, Mardochée est d’abord le héros d’un récit de formation picaresque aux airs de carnaval : la société médiévale y est bien souvent sens dessus dessous, pleine de moines défroqués, de nobles avilis par le pouvoir et d’humbles mécréants par qui s’accomplissent des péripéties aux apparences providentielles. Plein d’allant, cette partie du récit s’interrompt pourtant bientôt, lorsque Mardochée, retrouvant son vieux précepteur, se range auprès de lui et retrouve une vie réglée par l’étude et la méditation. Cette bascule permet à Diane Meur de faire preuve d’une belle érudition dans sa restitution de quelques controverses intellectuelles qui animent ce Moyen-Âge finissant, bien moins obscur qu’on l’imagine souvent, mais ouvre une deuxième moitié de roman qui tire un peu en longueur et où j’avoue avoir trouvé Mardochée excessivement bavard.
Le tout ne manque pas d’intérêt mais manque un peu de retenue et de rigueur, d’un plan mieux défini : des défauts assez habituels et excusables pour un premier roman (sorti il y a tout juste 20 ans). Il y manque surtout la plus belle des qualités de la plupart des romans suivants de Diane Meur, comme les Villes de la plaine ou la Carte des Mendelssohn : cette manière de faire croire au lecteur qu’il est lui-même l’archéologue ou l’archiviste qui doit démêler du foisonnement du texte la vérité profonde qu’il a à livrer sur un passé réel ou fictif.