Qui étaient-ils, les 10 à 30000 morts de la Saint Barthélémy ? Et à qui appartenaient les mains qui, cette nuit de 1572 puis pendant plusieurs semaines partout en France, ont frappé, blessé, embroché et jeté des centaines de corps dans des charniers ou dans les fleuves ? D’un tel massacre, dont la fureur paraît forcément trouble et indistincte, on pourrait imaginer que ne surnagent que quelques noms, ceux que l’on connaît pour les avoir croisés dans les livres d’histoire ou chez Dumas : Guise, Coligny, Pardaillan…
Jérémie Foa, dans le brillant essai de micro-histoire qu’est Tous ceux qui tombent, prouve le contraire : épluchant les registres judiciaires qui précèdent la Saint-Barthélémy, où l’on rencontre nombre de protestants déjà repérés par les autorités, et les registres notariaux qui la suivent, où l’on se partage dans un immense jeu de spoliation les biens des disparus, il redonne une identité à quelques poignées de victimes et à leurs bourreaux. Tous ceux qui tombent les restitue dans un contexte local voire intime au prix parfois, en toute transparence, de quelques spéculations qui permettent aussi de voir l’envers du décor du travail dans les archives de l’historien. Ce faisant, Jérémie Foa donne une lisibilité nouvelle à l’événement, déchaînement de haine qui, loin d’être aveugle et anonyme, découle de décennies de harcèlement des « huguenots », souvent par leurs plus proches voisins, qui trouvent dans la libération de la violence un aboutissement presque naturel. Un mécanisme glaçant qui est celui de tous les pogroms, et qui autorise la société à poursuivre sa marche, impunément, en enjambant les rivières de sang.