Roman que j'ai lu avec grand intérêt dans les années 90 lors de sa parution dans la collection Omnibus.
Ayant une conscience un peu confuse de la localisation de la Région des Cosaques du Don, c'est un livre que je voulais relire à la lumière du conflit entre Ukraine et Russie.
Et, puis le déclencheur a été l'excellente critique de mon éclaireur Plume321 qui m'a décidé de la nécessité et de l'envie de relire ce pavé…
Pour finir sur ce dernier point, contrairement à ce que je fais habituellement d'ignorer ce qui est déjà écrit sur SC, je m'appuie cette fois sur certains éléments de sa critique.
Pour ce qui concerne la localisation, les choses sont désormais très claires dans ma tête. Pour ce faire, j'ai complété les deux cartes incluses dans le livre en traçant la frontière "officielle" russo-ukrainienne. Là, on se rend compte que le Don contourne l'Ukraine et n'y pénètre pas. Seul l'affluent de la rive droite du Don, le Donets, nait en Ukraine. Même le Tchir, autre affluent de la rive droite est complètement en Russie. Donc, on peut dire que la Région des Cosaques du Don est (quasiment) limitrophe de l'Ukraine et pour l'essentiel en Russie. Dans le livre, il y est parfois question d'ukrainiens qui sont considérés par les cosaques comme un peuple à part, un peu de la même façon, d'ailleurs, que les polonais. Les cosaques usent d'un mot péjoratif "khokhol" pour désigner les ukrainiens. Donc, en première approche, deux peuples différents avec des Histoires différentes.
Revenons au roman. C'est un livre qui m'avait épaté lors de la première lecture par la tonalité générale du roman. Et là, en le reprenant en main, je retombe sur le même étonnement qu'a d'ailleurs relevé @Plume.
C'est un livre qui a traversé les ères staliniennes et post staliniennes sans avoir subi la moindre apparente censure. Le héros principal Grigori Melekhov oscille entre russes blancs et russes bolchevistes en passant par la case des républicains cosaques (plutôt blancs mais aussi plutôt indépendants) sans que ça gêne apparemment grand monde en URSS puisqu'il obtient même des prix en Russie stalinienne … Bien plus tard, Soljenitsyne s'en emparera mais ce sera une autre histoire.
Non, c'est la période stalinienne qui est très intrigante. N'étant pas un spécialiste, je me demande quand même si Staline, d'origine géorgienne, ayant contribué au découpage de l'URSS dans les premières années du régime soviétique, n'avait pas une petite sympathie personnelle pour le peuple cosaque. Il s'agissait aussi de reconnaître la spécificité du monde cosaque et non de s'en aliéner le peuple. Sachant que la Géorgie n'est pas si loin. Bof, je suis moyennement convaincu, quand même, par mon argumentation
Et puis, l'ère du léninisme avec ses famines des années 20, la guerre civile qui n'en finissait pas, était désormais révolue. Est-ce que, en creux, ce roman n'était pas une bonne façon de saluer l'ère du stalinisme en dénigrant le léninisme, pas foutu de faire la paix, juste générateur de massacres déraisonnables. Je n'ai rien lu dans les documents joints au roman qui puisse infirmer ni confirmer ce type d'hypothèse.
Les gens comme Melekhov sont des cosaques "pauvres" avec peu de terres et de bétail. Pratiquement, ils ne critiquent jamais les idées de partage des terres. Les gros propriétaires y sont plutôt critiqués. Ainsi que ces militaires d'opérette, issus du tsarisme.
"Tu n'es pas un bolchevik, mais un genre de bolchevik" reprochera un officier blanc à Gregori, devenu officier par la force du poignet et du sabre et non par l'instruction.
On n'évoque pas non plus à vrai dire la collectivisation et la désappropriation des terres qui sont sûrement des pierres d'achoppement potentielles au régime communiste. Le roman se tient plus sur une ligne militaire ou guerrière et ne se projette guère dans ce type de discussion politico-économique. On n'y aborde donc pas les sujets qui susceptibles de fâcher.
Mais, ce qui m'épate aussi, vu de ma fenêtre, c'est que les gens des soviets et de la Tchéka n'en sortent pas souvent grandis. Là encore, la Tchéka, c'était avant le KGB, qui devait sûrement constituer un progrès, non évoqué, toutefois, dans le roman …
Et puis au-delà des aspects politico-historiques fort nombreux et détaillés, le roman, c'est la formidable saga de cette famille Melekhov avec des personnages hors-normes, des hommes et des femmes durs et pourtant, parfois si tendres.
L'amour magnifique et tenace de Natalya pour Gregori. Un amour qui va au bout de la vie. Un destin de gagneuse. Aksinia, l'autre amour de Gregori, est une femme qui a souffert enfant puis qui souffrira adulte. Elle s'est forgée elle-même. Elle ne finit de vivre qu'à travers le personnage de Gregori qu'elle suivra aveuglément. Les rencontres d'Aksinia et de Natalya sont chargées de poudre et de regards étincelants.
Un roman avec une sensualité à fleur de peau.
Et ce constant besoin, cette nécessité absolue du retour de Gregori vers sa ferme, vers son village, sa stanitsa, Tatarski, au nom si évocateur. Les pêches dans le Don nourricier. L'amour des chevaux. L'amour du guerrier pour la paix. L'amour viscéral pour les enfants que Natalya a donnés à Gregori.
Mais il est fier notre Don, le Don paisible, notre père
Il n'a pas plié devant le Musulman, n'a pas demandé à Moscou de lui apprendre à vivre
Et les Turcs … Ah ! depuis toujours il les salue d'un coup de son sabre aiguisé sur la nuque
Et d'année en année la steppe du Don, notre mère
Pour la très pure mère de Dieu et pour notre foi orthodoxe
Et pour le libre Don de qui les flots mugissent, nous appelle à la lutte contre les ennemis