✩ Sélection octobre jury Grand Prix des lectrices ELLE 2020 ✩
1928, Vicente Rosenberg est polonais, et juif.
Sentant que le vieux continent est trop vieux pour incarner l'avenir, Vicente s'exile: direction l'Argentine.
Personne, dans sa famille ne le retient - tous sentent le vent tourner - mais personne ne le suit non plus.
Pour Vicente les dix premières années d'exil sont une formidable émancipation remplie de vie, d'amitié, et puis d'amour, bien sûr.
L'Europe est loin désormais, les actualités lui parviennent tard, lui importent peu.
Sa mère lui écrit toutes les semaines. Au fil du temps, ses réponses se font plus sporadiques, le quotidien, les choses à faire... on se rattrapera plus tard.
Mais les choses se gâtent:
"En 1941, être juif était devenu, grâce à ceux qui cherchaient à les exterminer, la condition fondamentale de millions de personnes qui, comme Vicente, n'avaient jamais accordé une grande importance à cette caractérisation, à cette appartenance mi-religieuse, mi-ethnique, trois-quarts n'importe quoi."
Les nouvelles de Varsovie se sont de plus en plus rares:ils ont construit un mur... ils ont saisi nos biens... la nourriture, les médicaments, tout manque...
Et puis un jour, plus rien.
"S'éloigner de sa mère, en 1928, l'avait tellement soulagé - être loin d'elle, aujourd'hui, le tourmentait tellement"
Vicente se noie dans la culpabilité: pourquoi n'a-t-il pas répondu à chaque lettre, pourquoi n'a-t-il pas insisté pour la faire venir, pourquoi n'est-il pas allé la chercher...pourquoi lui, est-il en vie...
Aucun mot ne peut répondre à ses questions, aucune phrase ne peut le soulager, alors, petit à petit, Vicente cesse de parler.
Enfermé, seul en lui-même, entre les murs de son ghetto intérieur.
Vicente est le grand-père de Santiago Amigorena, dont il fait revivre la mémoire poussé par la nécessité, pour briser le cycle familial, pour "combattre le silence qui m'étouffe depuis que je suis né", nous dit l'auteur.
Le roman est scindé en deux parties: quand Vicente parlait et quand il cesse de parler.
La première partie est passionnante et extrêmement touchante. L'auteur parvient à nous faire toucher des doigts le désarroi de cet homme contraint à l'impuissance, spectateur ignorant des atrocités subis par les siens.
La seconde partie en revanche, m'a moins convaincue. Le récit se fait très répétitif et l'auteur peine à décrire ce que son grand-père a pu ressentir.
Peut-être d'ailleurs n'était-ce pas possible, tout simplement.
Le Ghetto intérieur reste évidemment un bon roman, et un très bel hommage de l'auteur à ses grand-parents.