Une maladie oubliée du catholicisme

Le jansénisme est une maladie qui frappa le christianisme du XVIIe au XXe siècle : bénigne à ses débuts, elle prit des formes plus dangereuses, voire mortelles, car hérétiques. Dépourvu de doctrine, il fut ce que ses adversaires en firent.


1 – Un débat religieux
Le jansénisme initial, du nom du théologien Cornélius Jansen (1585 - 1638), nait d’une querelle théologique sur la grâce, qui teint en haleine l’opinion du XVIIe siècle. Elle procède d’une tension, inhérente au christianisme, entre deux visions de l’homme :
• L’une plutôt pessimiste, met en avant sa nature pécheresse. Elle insiste davantage sur la grâce qui, seule, est efficace. Elle s’appuie sur derniers écrits tardifs de saint Augustin. L’homme seul est perdu. Portée à son comble, elle réduit le nombre des élus à un petit troupeau prédestiné.
• L’autre, plus optimiste et défendue par les jésuites, donne toute sa place à la liberté humaine. Dieu accorde à tous une grâce suffisante pour être sauvé, par la seule décision de son libre arbitre. Elle se perd dans le quiétisme : peu importe nos œuvres, nous irons tous au paradis par un simple acte, même tardif, de foi.
Le salut passe par les deux… Relisez Bossuet : « Apprenons à captiver notre intelligence, pour confesser ces deux grâces, dont l’une laisse la volonté sans excuse devant Dieu, et l’autre ne lui permet pas de se glorifier en elle-même. »


2 – Le gallicanisme, une vieille querelle politique
Dès Philippe Le Bel, les Capétiens s’opposèrent aux ingérences de la papauté en France, tout en s’affichant bon chrétiens. Les juristes royaux fixèrent les fondements du gallicanisme : le roi entend être maître chez lui (il est empereur en son royaume), quitte à menacer d’instituer, à l’image d’Henri VIII, une église catholique et française ! Le Concordat de Boulogne (1516) accorde à François Ier la nomination de 150 évêques et 500 abbés, contre l’abandon de la thèse, proclamée au Concile de Bâle, de la supériorité du Concile général sur le pape


3 – Louis XIV et l’absolutisme
Louis XIV gouverne seul. En quoi l’abbaye de Port Royal, ses orgueilleuses religieuses et sa poignée de solitaires, menacent-ils sa toute puissance ? Comment admettre que nombre des plus beaux esprits du royaume, Blaise Pascal, Jean Racine, Philippe de Champaigne, Pierre Nicole, Antoine Arnauld, la duchesse de Longueville ou le duc de Roannez, fuient sa cour pour se retirer à la campagne ? Cela lui est d’autant plus inacceptable, qu’il se méfie des dévots. Ne blâment-ils pas, en silence, les écarts de sa vie privée et ses alliances étrangères ? Dans sa lutte contre les catholiques Habsbourg, ne s’est-il pas allié au calife ottoman et à tout ce que l’Europe compte de princes protestants ! Louis XIV déteste ce foyer de « républicains ». A juste titre, car à l'obéissance sans condition, fondement de l'État absolu, le jansénisme oppose l'autonomie de la conscience et la quête de sainteté, rejetant le principe même de la raison d'État. Les sanctions pleuvent. La dernière, la bulle Unigenitus Dei Filius en 1713, condamne 101 propositions de Quesnel. Le clergé français se divise en acceptants et appelants (à un Concile général tenu comme supérieur au pape). L’abbaye de Port-Royal est supprimée, ses cisterciennes expulsées, ses bâtiments rasés et son cimetière profané !


4 – La suite, vers la Révolution
A la mort d’Antoine Arnaud en 1694, le leadership passe au père Quesnel, qui mêle gallicanisme et richérisme. Le richerisme (Edmond Richer (1560 – 1631)) soumet le pape au concile, l’évêque à ses prêtres puis, au niveau paroissial, le prêtre à sa communauté. Le jansénisme survit dans les milieux parlementaires, justifiant leur tempérament frondeur, mais aussi dans le bas-clergé provincial, dont le mode de vie est aux antipodes de celui de ses évêques. La Révolution comble leurs espérances avec la Constitution civile du clergé, au funeste destin.


5 – La suite…
Le jansénisme/courant historique disparaît avec le Concordat. L’église vieille catholique d’Utrecht refuse le dogme de l’infaillibilité pontificale (1870), mais son influence restera marginale. Demeure, diffus, un jansénisme mondain qui pourrit la vie de générations de pieux catholiques du XIXe siècle. Un regret confus d’un Ancien-Régime idéalisé, un refus de la modernité et du ralliement catholique à la république anticléricale (1892), qui se traduit par des mœurs rigides et sévères, un relâchement de la pratique religieuse et du recours aux sacrements et, surtout, une désespérance, péché assurément mortel pour une religion décrite par les apôtres comme « bonne et joyeuse nouvelle ».


PS : Ces quelques lignes tiennent plus de la note de synthèse, que de la critique, de l’excellent livre de Jean-Pierre Chantin.

SBoisse
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le 16 mai 2016

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Step de Boisse

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