L’auteur, Mo Yan, est l’écrivain chinois qui a obtenu le prix Nobel de littérature 2012. Quelqu’un dont, comme beaucoup, je n’avais jamais entendu parler avant l’attribution du prix. Pris de curiosité, j’ai emprunté ce court récit (une centaine de pages en caractères assez gros, soit une grosse heure de lecture, pas plus), pour me faire une idée.
Mo Yan est un pseudonyme, signification littérale « Celui qui ne parle pas ». Ce qui m’amène à évoquer la traduction : comment rendre compte de l’état d’esprit d’une langue si différente du français ? Le traducteur Noël Dutrait explique que la traduction de l’ouvrage a fait l’objet d’un cours avec des étudiants de maîtrise de chinois de l’université d’Aix-en-Provence pendant deux années scolaires successives. Comme il remercie ses étudiants, on peut supposer que la traduction a été minutieusement discutée avec des passionnés.
Le personnage central, Lao Ding a 60 ans. A quelques années de la retraite, il est licencié pour cause de réduction d’effectifs. Pourtant, on lui avait assuré que, au vu de sa longue et valeureuse carrière dans son usine d’État, il ne courait pas ce risque. Comme cela se fait en Chine, on l’appelle Maître et il a un apprenti, Lü Xiaohu très déférent. Le Maître est au bord de la dépression. C’est son monde qui s’écroule. Il a peur pour son avenir et celui de sa femme « Un homme incapable d’entretenir sa famille n’a aucun droit de se mettre en colère contre sa femme, il en a toujours été ainsi, en Chine comme ailleurs » lit-on page 33 alors qu’il soupire.
Il erre comme une âme en peine dans la foule des gens qui proposent de bonnes affaires : chacun a sa source de revenu. Il est même inquiet pour son intégrité physique, redoutant une fracture à la suite d’un choc. Lü Xiaohu s’inquiète du Maître et l’accompagne pour lui remonter le moral. Un besoin pressant les entraine vers des toilettes publiques où le Maître s’étonne de devoir payer 1 yuan. Lü Xiaohu lui fait remarquer que tout se paye ici bas et il lui avance la somme nécessaire. Réflexion en sortant « Xiaohu, on s’est fait une pisse de luxe tous les deux.
- Vous ne manquez pas d’humour, maître !
- Je te dois un yuan, je te le rendrai demain !
- Vous avez de plus en plus d’humour, maître ! »
Autant dire que jusqu’à cet échange, je trouvais ce récit un peu gentil, au point de me dire que ce prix Nobel était peut-être avant tout politique. La suite a fait évoluer mon opinion, car en sortant des toilettes, le maître annonce qu’il a trouvé une idée pour gagner sa vie d’une façon nouvelle «
- Xiaohu, le ciel ne nous laisse jamais sans ressources, pas vrai ?
- Maître, c’est une citation de Confucius, alors c’est la vérité bien-sûr ! »
Cette idée est simple, astucieuse et effectivement lucrative. Elle permet également à MoYan de décrire de façon simple et concise comment on peut vivre actuellement en Chine. L’auteur fait sentir l’opposition entre les valeurs traditionnelles et la volonté moderniste qui balaie tout, y compris les individus. Le côté social ressort naturellement, sans que Mo Yan ait besoin de marquer ses effets. Le style est sans fioritures, avec un vocabulaire et des tournures accessibles à tous. Et le récit ne manque pas de péripéties cocasses.
L’humour que le titre du récit attribue au Maître peut être interprété. Lorsque Xiaohu conclue en disant « Maître, vous avez vraiment de plus en plus d’humour » c’est avant tout une façon d’exprimer un certain agacement vis-à-vis de maître Ding qui voit un nouveau malheur se dissiper. Le maître s’est sorti d’un mauvais pas sans avoir vraiment compris ce qui s’était passé et en faisant tourner en bourrique tout son entourage.