Le Mandarin
7.4
Le Mandarin

livre de Eça de Queirós (1880)

Le Mandarin est une sorte de conte fantastique, empreint de romantisme, publié par le Portugais José Maria de Eça de Queirós en 1880, forme surprenante a priori pour un écrivain qui passe pourtant d'ordinaire pour une sorte de Flaubert ibérique, ayant introduit le naturalisme dans son pays d'origine.


Le Mandarin met en scène Teodoro, un médiocre commis aux écritures résidant dans une petite pension de Lisbonne, qui se désespère de ne pouvoir atteindre la richesse qui lui offrirait la vie de plaisirs ininterrompus dont il rêve. Cette espèce de croisement de Bartleby et d'un personnage maupassantien rencontre un soir le diable – mais mis en bourgeois – dans sa chambre qui lui offrira la prospérité matérielle convoitée, pour un prix en apparence bien dérisoire : il suffira d'agiter une clochette pour que meure, à dix mille kilomètres de là, un vieux fonctionnaire chinois déjà souffreteux. Comme le veulent les conventions du genre, notre héros ne s'en tirera pas à si bon compte et il se retrouvera suite à sa décision pris dans des affres qui le conduiront jusqu'à Pékin, prétexte d'ailleurs à de magnifiques descriptions pleines de couleurs fortes.


Le livre m'a intéressé d'abord, assez paradoxalement, parce que j'éprouve une antipathie plutôt forte pour le fantastique ; enfant bâtard d'un romantisme noir et d'un réalisme entrecroisés un soir d'improbable coucherie sous trois grammes, le genre m'a vite paru d'une simplicité et d'un codage tellement présents qu'ils avaient tendance à étouffer la créativité (sur le plan de la structure) de l'auteur qui s'y rattachait. J'ai souvent eu le sentiment que toutes les affaires de rencontres avec le diable et de croisement des morts épousaient éternellement le même déroulé, et bien que je ne renierai pas mon admiration de plusieurs écrits de Mérimée et de Gautier dans le genre, le fantastique s'est en général paré à mes yeux de tentures délavées et fatiguées faute d'avoir été trop brandies, sur fond de ressorts qui grincent après la sempiternelle représentation. J'étais donc curieux d'aborder ces clichés fatigués par un bouquin qui arrive bien après la bataille (en 1880, on l'a dit) et chez un auteur Portugais plus réputés chez nous pour ses influences naturalistes.


Je fais un encart ici pour bien poser que je suis parfaitement conscient du fait que ce qu'on a appelé un peu artificiellement le fantastique a évidemment maille à partir avec un réalisme dont il est supposé décrocher après l'avoir dans un premier temps embrassé ; et que certains pinacles du genre en France ont été écrits après le roman de Queiroz, je pense au hasard au Horla qui a cinquante ans de retard. Mais ce sont des productions dans le champ français bien anachroniques par rapport au gothique et roman noir tant anglais qu'allemands dont ces écritures dérivent.


Le bref roman de Queiroz, que j'ai sincèrement apprécié et qui peut se lire d'une traite, ne déroge pourtant pas de beaucoup, en apparences, à ces règles dont je me plains : situation initiale banale et réaliste, rencontre avec le diable, jouissance éphémère du mauvais pouvoir, péripéties aventureuses puis fin plus amère en forme de démontage de la scène fantasmagorique qui doit s'achever). Mais il a pour lui un souffle très agréable lorsqu'il mue en véritable roman d'aventures orientales, s'affranchissant de toute nécessité de cohérence qui ne va pas nécessairement de pair avec le genre, et partout où les stéréotypes du fantastique sont embrassés, une ironie francophile dans le traitement de la médiocrité bourgeoise de son petit fonctionnaire de narrateur emporte toujours le morceau un peu plus loin que ne le fait une énième reprise premier degré de Hoffmann. Cet effet culmine dans une dernière page au nihilisme ou au désespoir assez surprenant tant il tranche avec le mépris léger qui teinte le reste du roman, et donne plus de corps à un conte fantastique qui se double d'une lecture politique et morale convenue mais intéressante, liée à son dispositif romanesque.


J'ai beaucoup apprécié la lecture de la préface, effectuée à la fin de la lecture du livre, où l'auteur revient dans une lettre sur ses intentions à propos de ce petit récit qui détone d'avec ce pour quoi l'écrivain est davantage connu. Il y présente avec un mélange pertinent d'autodérision et de finesse la situation d'un Portugal littéraire enfermé dans une sorte de complexe les poussant vers un réalisme qui serait, selon Queiroz, en contradiction avec un goût fondamental de ces latins pour un lyrisme ancienne mode. J'ai beaucoup aimé ces trois pages d'art poétique où l'auteur revient sur cette contradiction au cœur de son œuvre : cela m'a rendu le type et le genre, pour lesquels je n'ai pas d'appétence a priori, très sympathiques et c'est sur une note de chaleur que je veux conclure cet avis.

S_Gauthier
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le 22 avr. 2024

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