L’exercice proposé par La Tour Sombre et Le Pistolero, dont il nous ouvre les portes, est décidément des plus intéressants : adoptant en ce sens une posture lorgnant sur de l’objectivisme quasi-total, le portage cinématographique d’une partie des romans échappait (dans mon cas) à l’écueil de la fidélité, mes attentes se résumant alors au produit filmique seul.
Le travail réalisé par Nikolaj Arcel, alors loin d’être irréprochable, s’arrogeait toutefois un mérite notable, au détour de son statut de divertissement de seconde zone (relativement digeste) : celui de faire émerger un désir intarissable, à savoir faire de La Tour Sombre et ses huit chapitres ma prochaine lecture de chevet. Plutôt friand du style propre à King (Ça vous marque), là était l’occasion rêvée de découvrir une saga tenant lieu de pierre angulaire dans l’œuvre de ce dernier, mais paradoxalement en marge de la renommé de certains de ses romans phares.
Ainsi, Le Pistolero ne pouvait que débuter sous les meilleurs auspices, les redondances et autres velléités décriées à loisir par les détracteurs du natif du Maine ne me concernant pas : et, sans surprise, les premiers pas de Roland Deschain s’inscrivent pleinement dans sa signature narrative, cette aisance palpable à capter l’attention (qu’il s’agisse de détails dérisoires ou de séquences fondamentales) transpirant de bout en bout cette introduction réussie.
Certainement la plus avare en termes de background (qui n’aura de cesse de s’étoffer, nul doute là-dessus), cette dernière convainc fort d’un équilibre délectable entre deux supports : d’abord cette fameuse patte familière, empreinte d’un sérieux grivois, venant colorer ensuite une ébauche d’univers à l’agonie, désenchanté mais non moins riche d’intérêt.
À bien des égards, Le Pistolero n’a de cesse d’osciller entre pessimisme latent et un fatalisme faisant office de bras armé pour le compte d’une destinée taquine, figure de proue intangible (mais non moins omnipotente) d’un propos à l’envergure démesurée : car dans cette obscure affaire de Proportion(s), les premiers échos de La Tour Sombre dresse un tableau aux multiples ramifications, cette course-poursuite iconique n’étant assimilable qu’à un vulgaire grain de sable perdu au sein d’un désert insondable... un abîme cosmico-métaphysique non pas prétentieux, mais ingénieux tel qu’abordé.
Par ailleurs, King parvient à se jouer de son auditoire, la trajectoire de son roman réservant bien des surprises : si l’on pensera notamment au devenir funeste de Jake, pourtant susurré à l’envie auparavant, le face-à-face opposant l’Homme en noir au Pistolero se place aux antipodes du règlement de compte conventionnel. Si nous pourrions alors y voir une énième preuve de la suffisance caractérisant l’auteur, l’effet est pourtant des plus efficaces, cette abondance de palabres s’érigeant en vecteur d’une profondeur délectable : à l’image de ces deux protagonistes ambigus, Roland incarnant une figure antihéroïque complexe, La Tour Sombre s’émancipe de tous carcans manichéens, prévisibles et autres tares archétypales, pour un ensemble à la croisée des genres captivant.
Reste à voir comment évoluera par la suite cette épopée unique en son genre, mais voilà qui rehausse grandement la pertinence des avis désabusés des fans de la première heure : car il est à présent indéniable que le film n’en est qu’un banal ersatz, une transposition malingre, limitée et porteuse d’ambitions au rabais, ce qui tient du simulacre au regard de la richesse intrinsèque que revêt (à elle seule) cette belle entrée en matière.
Qui plus est, l’acte isolé des Petites Sœurs d’Élurie est un ajout des plus sympathiques : certes à part en raison de son unicité et son antériorité au récit du Pistolero, cette péripétie prenante est un bien bel ajout tant elle confirme les excellentes prédispositions de ce dernier.
Une peinture somptueuse, tiraillée entre l’ampleur d’une noirceur inextricable et le miroitement d’éclats fugaces : peut-être s’agit-il là du propre même de l’univers à une échelle nous dépassant.