Moissac. Un couple et leur petite fille, en butte au racisme et au déchaînement de haine des paysans qui lorgnent sur leurs vignes, et qui ne supportent pas de voir un noir installé sur «leurs terres», un tueur solitaire blessé en fuite sur sa moto, des trafiquants de drogue colombiens, issus d’un groupe paramilitaire d’extrême droite soutenu par les Etats-Unis pour combattre les FARC, ayant un rendez-vous avec la mafia italienne pour consolider leurs réseaux en Europe : tout ce petit monde entre en collision sanglante dans les vignes du Tarn et Garonne.
«Le regard du paysan se porta vers une ligne de crête derrière laquelle, à un kilomètre à peine, se trouvait la ferme que le nègre habitait, avec sa femelle – quel autre nom pour une Blanche qui copulait avec un boucaque ? – et leur sale gamine. Parce qu’ils s’étaient reproduits, ces animaux-là !
Impossible de l’apercevoir d’ici et c’était aussi bien. Sinon, Baptiste Latapie n’était pas sûr qu’il y aurait pas fait une descente, à leur ferme. Pour en finir une bonne fois pour toutes. En plus, ils étaient isolés, ces cons-là ! Autour, il y avait plus que des résidences secondaires ou des gîtes et, en cette saison, tout était fermé.
Mais les autres avaient dit de plus s’approcher trop près, à cause des gendarmes qui tournaient dans le coin, depuis les dernières plaintes du père Dupressoir et du singe. Ils étaient même venus de Toulouse pour enquêter quand ça avait cramé. Et comme ils avaient rien trouvé, ils surveillaient.
Alors c’était la guérilla, comme ils disaient les autres, les Cathala, les Viguie, les Fabeyres et tous les exploitants qui voulaient pas de macaque au païs. À l’usure qu’ils l’auraient. Ici, ils y revenaient chacun leur tour, comme le mauvais temps.»
Vendettas locales et globales viennent s’agglomérer dans ce roman sous tension d’une violence explosive, avec pour pivots deux personnages d’une grande épaisseur, le lieutenant-colonel Valéry Massé du Réaux, conscient de l’impuissance d’une police à court de ressources qui n’a plus les moyens de protéger les petits, et le tueur isolé, dont l’humanité affleure dans sa violence et sa solitude, tandis qu’il cherche à sauver sa peau face à des adversaires sans doute trop puissants ; et tous les deux illustrent, indirectement et avec une habileté profonde, les racines du mal qui gangrène les états.
Au cœur de cette intrigue ce qui transpire est une parabole sur la mondialisation, la globalisation du trafic de drogue et les liens poreux que certains états entretiennent avec lui – avec lequel le récent «Or noir» de Dominique Manotti vient résonner -, soulignant comment le modèle néolibéral contamine des états à bout de ressources, qui sous-traitent aux mercenaires privés les missions trop coûteuses et risquées.
Paru en 2009 en Série Noire Gallimard, cette suite immédiate de «Citoyens clandestins» même si on peut les lire indépendamment, se dévore, se reçoit comme un coup de poing dans le ventre, à prolonger avec l’indispensable «Pukhtu Primo».
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