Anna De Noailles nous raconte, à la première personne et suivant scrupuleusement l'ordre d'un journal intime, l'histoire de Soeur Sainte-Sophie, Louise lorsqu'elle n'était pas encore religieuse, qui va s'éprendre, tout doucement, de l'insistant Julien. Au couvent et habituée à la pureté incessante dont est empli son environnement, elle découvre en ce visage masculin tous les attraits d'un futur ami. Celui qui semble faire attention à elle revient à la charge, plusieurs fois par semaine, et bientôt les deux protagonistes entretiennent une relation secrète, non sans malice et discrétion, mais toujours sans pêchés et avec la volonté de ne jamais aller à l'encontre de Dieu. Anna De Noailles, poétesse reconnue du début du 20ème siècle, utilise son amour des mots, et surtout des métaphores, pour installer, progressivement, le basculement du cœur de la belle Louise vers la liberté individuelle.
Elle est en moi à cause que tu es,
Non point toi seul, mais divers, ample, étrange;
Reste indolent, oublieux, imparfait,
Je porte en moi le soleil qui te change… (Poème de l'amour, Anna De Noailles.)
Parce que Le visage émerveillé, au-delà d'être une histoire d'amour interdite entre une religieuse et un jeune homme désireux de vivre, est aussi l'éveil de tous les sens, face à la beauté jusque-là indolore et invisible du monde. Anna De Noailles, de par la force de ses répétitions et de ses diverses anaphores, montre au lecteur une image tantôt candide, tantôt curieuse, tantôt pensive, mais surtout très inconstante de l'héroïne, qui poussée par sa méconnaissance du monde, a un avis parfois très pragmatique sur ce qui l'entoure ("Elle est laide, je suis belle." "Elle mérite ceci, ou cela".) mais aussi très poétique sur la nature et les soubresauts émotionnels dont elle regorge. A la manière de Catherine dans Northanger Abbey, la découverte par l'expérience sensorielle de la vie est absolument fantastique et regorge de superbes trouvailles tout au long du roman. Contrairement à elle, cependant, la Soeur dont on suit le voyage introspectif tente toujours de se rassurer en pensant, après chaque rencontre avec Julien, rester dans le droit chemin. Même quand ses lèvres parcourent les siennes ; comme avec sa mère autrefois, un baiser sur la bouche n'est que la marque d'une confiance exacerbée.
Conquis par ce visage émerveillé, je vous recommande sa lecture pour la qualité de son écriture, la découverte d'une poétesse dont la tendresse et l'ivresse des émotions m'a transporté. Le roman évite les écueils probables d'un tel sujet et promet une fin - sans en être une - inattendue, à l'ombre d'une vie qu'elle choisira de vivre pour Dieu ou pour elle-même. Bienheureux est l'homme qui peut se targuer d'être certain d'être plus enivré ailleurs, et Louise est l'exemple parfait d'une jeune femme, à l’orée de sa vie, partagée entre raison et sentiments, foi et plaisir, tiraillements et certitude. Baudelaire est-il un ange ou un démon ? C'est toute la question, quand l'inconnu malmène l'habitude et le calme...
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