L’écriture économe de mots du «Caillou» de Sigolène Vinson, paru en mai 2015 aux éditions Le Tripode, semble réduite à l’essentiel, à une forme minérale et dense, et forme un récit singulier et désarmant, empreint d’une forme de candeur qui régénère.
Une jeune femme au chômage a quitté son poste d’enseignante, détachée de son passé et du monde, vivant une vie réduite au minimum, éloignée de ses parents et, autant que faire se peut, de toute activité économique et sociale.
Devenue serveuse par intermittence dans un bar des Abbesses, sa vie ressemble à une traversée du désert immobile, comme si elle voulait s’éloigner de tout ce qui peut faire mal, comme de cette indifférence de l’homme qu’elle aime. Cette femme a quarante ans mais semble extrêmement jeune, refusant de prendre une direction dans un monde qui n’en a plus, ayant renoncé aux rêves si ce n’est à celui, fort et inexpliqué, de devenir un caillou.
«- Vous avez fait des études ?
- Oui, très longues.
- Vous rêviez d’exercer un métier en particulier ?
- Non, aucun. En vrai, je souhaite devenir un caillou.»
Elle s’est cependant liée avec son voisin, Monsieur Bernard, un ancien employé de l’imprimerie nationale qui passe ses journées à tenter de faire son portrait. Malade du cœur, Monsieur Bernard meurt soudainement en laissant à sa voisine de métaphoriques petits cailloux blancs pour trouver son chemin.
Après la disparition de celui qui promettait en la sculptant d’accomplir son rêve, elle s’envole pour la Corse, cœur vibrant du récit, où Monsieur Bernard se retirait régulièrement, suivant sans le connaître le chemin qu’il a commencé à tracer.
«Petite, tu es là, pas vrai ? Petite, tu me lis ? Ce qui est important, c’est que tu fasses quelque chose de ta vie. Je n’ai pas fini ton portrait, continue-le à ma place et ce sera ton œuvre. Surtout, ne touche pas au regard. C’est le tien, crois-moi.»
Fable singulière à la fois triste et tendre, où l’héroïne tentée par un retrait du monde évoque les romans de Nathalie Peyrebonne, et en particulier le très poétique «Rêve général», «Le caillou» interroge la difficulté mais aussi le sens de l’art, la beauté de l’existence et la possibilité d’une métamorphose, malgré le passage du temps et le manque de direction du monde.
«Même les sangliers se souviendront de moi et viendront marquer leur territoire en se frottant à mon portrait. Quelle autre trace pourrais-je laisser dans un monde qui refuse d’être remarquable, dont les mécanismes tournent à vide, parce que l’humanité a franchement paressé durant ces deux derniers millénaires ?»
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