« C’est l’histoire d’une femme qui voulait devenir un caillou. »
Intrigués, nous ouvrons ce très beau livre dont la couverture est l’œuvre d’Estelle Ribeyre et nous parcourons les premières lignes. « Hier, j’avais un caillou dans la chaussure. Je ne l’ai pas retiré de la journée. » Je ne sais pas vous, mais moi, ça y est, je suis séduite, peut-être parce que ça m’arrive souvent ce genre de chose, pas le temps d’enlever l’intrus minéral, pas le lieu, pas le moment, bref, je peux même le garder au chaud quelque temps…
La narratrice, professeur de français, a démissionné, persuadée de « son incapacité à faire progresser l’être humain. » Elle vit cloîtrée dans son dix-huit mètres carrés parisien, parle le moins possible « En me contentant de petits bruits, j’imagine que la vie passera sans m’apercevoir, qu’elle m’épargnera ce qu’elle n’épargne à personne. », écrase son nez contre sa vitre et regarde le ciel gris terne. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle n’est « pas très en accord avec le fait d’exister. »
Devenir caillou serait pour elle un moyen bien pratique de disparaître, de s’éclipser, de ne plus rien sentir. Mais… ne devient pas caillou qui veut !
Son voisin, monsieur Bernard, vient de mourir : elle le connaissait un peu cet homme qui avant la retraite travaillait, lui avait-il dit, à l’Imprimerie nationale et se rendait tous les deux mois en Corse. Sa passion? La sculpture. Il dessinait le visage de la narratrice et tentait de le reproduire avec de la terre glaise, en vain. Après la mort de ce voisin, elle décide de partir en Corse pour le retrouver, mieux le connaître, comprendre qui il était, si c’est possible… « Le ciel est blanc. Monsieur Bernard va me manquer. Je vais redevenir seule. Ce ne sera plus assez de m’aplatir contre une vitre. » Sur l’île, elle va devoir achever la tâche entreprise par cet étonnant voisin et tenter de devenir ce qu’elle souhaitait…
Ce livre tire sa force et sa beauté de cette atmosphère mélancolique qu’il dégage et qui nous touche par sa sincérité, son authenticité. Chaque phrase est l’expression d’une douleur existentielle, vive, omniprésente, d’une difficulté à être au monde. L’écriture est poétique, surréaliste parfois, pleine de surprises, de formules inattendues et souvent amusantes que l’on a envie de noter sur son carnet préféré. « Arroser les plantes sous la pluie ou se balader avec une serpillière dans une serviette en cuir, c’est un moyen de tenir. Parce qu’il faut quand même bien qu’on tente d’aller jusqu’au bout. » La construction de l’œuvre : les choses à peu près / les choses telles qu’elles sont m’est apparue comme une invitation à s’interroger sur la création littéraire, le travail de l’invention et de l’écriture.
Ainsi, Le Caillou est l’histoire d’une disparition volontaire, d’un effacement calculé, d’une lutte pour disparaître. « Parfois, je me sens un peu fatiguée. Il doit me rester plus de quarante ans à vivre. » Mais c’est aussi une tragique histoire d’amour ratée de gens qui se sont manqués, que la vie a séparés.
Finalement, le message qu’il faut peut-être retenir est que seuls, l’art et la création peuvent aider à patienter car ils détournent de l’ennui : c’est ce qu’avait compris monsieur Bernard qui, en disparaissant, a sauvé sa voisine de l’oubli. C’est tombé sur elle, et elle a vécu…
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