Ou les limites d'étudier le cinéma sous un angle trop précis

Le cinéma japonais aujourd'hui, en plus d'être un livre très riche et instructif pour qui s'intéresse au 7ème art nippon, me semble poser une question assez complexe sur les limites de l'étude des films : comment les aborder ?


Faut-il mélanger les approches ? Privilégier un angle plutôt qu'un autre ? Ici, Benjamin Thomas étudie principalement le cinéma japonais sous l'angle de la surmodernité d'Augé (avec toute la solitude et les troubles identitaires que cette notion implique), pour expliquer la plupart des thématiques et des récurrences esthétiques qui jalonnent les films. Le problème, c'est qu'en s'enfermant dans une approche bien précise , celle des théories d'Augé, on finit par passer à côté de ce qui fait la sève de certains films, ou même par surinterpréter certains détails des œuvres en pensant trouver là un nouvel indice pour relier le film à la théorie (comme l'analyse de la démarche de Sadako dans Ring qui me semble tirée par les cheveux).


Evidemment, je réduis un peu l'approche de B.Thomas, qui englobe aussi bien de la sociologie, de la psychanalyse que de la pure théorie du cinéma. Mais le "problème" est le même : Thomas essaie toujours de relier les films qu'il aborde aux théories, quitte à trouver des liens qui paraissent fallacieux. Force est de constater qu'étudier un film, c'est forcément faire un choix sur comment l'aborder (les possibilités étant quasi infinies, reste à voir laquelle est peut-être la plus pertinente), et qu'en étant trop expert sur la condition d'une société donnée (celle où a été produit le film) on peut facilement passer à côté des enjeux esthétiques et de la volonté-même du réalisateur, qui lui ne réalise pas forcément un film avec la ferme intention de produire un discours sur la surmodernité. C'est aussi le problème de tout universitaire étudiant un film selon l'angle de son champ d'étude : c'est intéressant, mais ça finit souvent par ne plus du tout parler de l'oeuvre en elle-même (quand les universitaires interviewent des réalisateurs, on voit d'ailleurs parfois un clivage et une incompréhension réciproque qui témoignent de la déformation de la vision de l'intervieweur par le prisme de son champ d'étude).


Les choses dont je parle ne sont pas forcément des défauts, certains trouveront même cette façon de traiter le cinéma japonais plus appropriée qu'une approche qui met davantage le réalisateur au centre de l'analyse. D'ailleurs, le cinéma japonais aujourd'hui est un livre incroyablement bien documenté, et j'ai un profond respect pour tout le travail effectué par B.Thomas. Il me semble simplement pointer du doigt des "problèmes" (encore une fois entre parenthèses, car ça ne reflète que mon point de vue) qui ne lui sont pas exclusifs, mais similaires à la plupart des livres universitaires traitant du cinéma.

Subversion
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Lectures sur le cinéma japonais et Le cinéma, ça se lit aussi !

Créée

le 18 oct. 2017

Critique lue 292 fois

6 j'aime

Subversion

Écrit par

Critique lue 292 fois

6

D'autres avis sur Le cinéma japonais aujourd'hui

Le cinéma japonais aujourd'hui
Abrom
5

Critique de Le cinéma japonais aujourd'hui par Abrom

Analyse très riche des signes, très éclairant dans son observation des formes subversive et autres liens effectué avec des dynamiques historiques/sociales du japon contemporain.On déplorera quand...

le 3 août 2024

Le cinéma japonais aujourd'hui
DjallalAit
1

Le cinéma kabyle c'est mieux

C'est injuste que cet auteur est le droit d'écrire en France, tout autant injuste que Karim Benzema ne soit pas en équipe de France Et comme dirait un grand homme J'encule la littérature...

le 13 juin 2016

Du même critique

Les Funérailles des roses
Subversion
8

Ambivalence

Puisqu'au Japon les années 70 étaient le terreau fertile à un cinéma transgressif exposant les tabous de la société japonaise au grand jour, il était logique que la communauté des homosexuels et...

le 9 déc. 2017

19 j'aime

2

Pale Rider, le cavalier solitaire
Subversion
4

Clint Eastwood, par Clint Eastwood

Permettez-moi d'être dubitatif sur le statut de ce film. Considéré souvent comme un des grands westerns des années 80, Pale Rider ne me semble pas du tout mériter sa réputation. Le fameux personnage...

le 27 août 2017

19 j'aime

4

All About Lily Chou-Chou
Subversion
10

Simulacres et gouffre générationnel.

[Il s'agit moins d'une critique que d'une tentative d'analyse, issue d'un travail académique plus vaste]. Shunji Iwai est un cinéaste de la jeunesse : dans la grande majorité de ses films, il n’a...

le 16 févr. 2019

17 j'aime

2