Pour les amoureux de grand romanesque, Le cœur converti de Stefan Hertmans est un magnifique cadeau. Une histoire tragique d'amour fou dans le bruit et la fureur de la fin du XIe siècle, alors que la première croisade se prépare. Le romancier flamand, qui depuis des années habite le petit village de Monieux, dans le Vaucluse, est parti sur les traces d'une héroïne de cette époque, d'abord appelée Vigdis puis Hamoutal, qui aurait séjourné longuement à Monieux, avec son mari juif, puis seule, à la fin de sa douloureuse existence. La conversion de cette descendante d'une lignée normande a été la source de son malheur et a précipité sa fuite durant la majeure partie de sa vie, avec des étapes successives de Rouen à Monieux, en passant par Orléans, Narbonne, la Sicile et l'Egypte. A partir de quelques indices historiques, Hertmans tisse un récit incroyablement captivant qui scintille de mille détails sur les us et coutumes de cette période clé du moyen-âge. La violence y est très présente avec notamment la description terrible d'un pogrom. Au-delà de la fiction, à la manière d'un Emmanuel Carrère ou d'un Javier Marias, l'auteur évoque le making-of de son livre avec ses pèlerinages dans les lieux où aurait fait halte Hamoutal. Le rapport de Hertmans avec son personnage est étonnant, viscéral et épidermique. L'intrigue principale et les faits et gestes de l'écrivain se marient parfaitement, ces derniers servant de pause provisoire à l'odyssée de la femme prosélyte. Le style du romancier est superbe (on n'a jamais l'impression qu'il s'agit d'une traduction du néerlandais), parfois lyrique et extrêmement visuel. Hamoutal n'est pas une femme qui a vécu il y a plus de 900 ans, elle est une exilée d'aujourd'hui, soumise à la cruauté des hommes, à leur intolérance atavique et à la folie meurtrière qui les habite.