Dedans.
Ce mémoire, intitulé Le commandant d'Auschwitz parle, a été rédigé par Rudolf Hoess en 1947 à Cracovie, dans l'attente de son procès. Sans illusion quant à l'issue possible du verdict, Rudolf Hoess...
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le 14 déc. 2020
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Ce mémoire, intitulé Le commandant d'Auschwitz parle, a été rédigé par Rudolf Hoess en 1947 à Cracovie, dans l'attente de son procès. Sans illusion quant à l'issue possible du verdict, Rudolf Hoess rédige cette apologie pro domo en réaction au traitement favorable qu'il dit avoir reçu dans sa prison en Pologne, afin de contribuer, en remerciement et par équité, à éclaircir la vérité, les « points obscurs », concernant « l'immense machine d'extermination du Troisième Reich ».
Faisant démarrer son récit à sa prime jeunesse près de Baden-Baden, Rudolf Hoess retracera le parcours de sa vie à travers le front oriental de la première guerre mondiale, l'expérience de la prison, sa vie d'agriculteur Artaman jusqu'à son entrée active dans les SS, sa montée en grade progressive dans la hiérarchie concentrationnaire avant la fin de la guerre et son arrestation. À travers ces différents pans importants de sa vie, Hoess livre une autobiographie politique et spirituelle qui a pour ambition d'explorer son « moi » et de justifier de sa conduite morale face aux différentes épreuves auxquelles il est confronté. Il se peint tout le long du livre comme un homme foncièrement seul, préoccupé par le doute, mais tirant fierté de sa capacité à systématiquement étouffer ce dernier sous une froideur professionnelle de façade. Il montre ainsi un attachement extrême, fanatique, au suivi des ordres même quand, à plusieurs reprises, il dit les contester, et s'il n'hésite pas à se représenter très souvent en impuissance morale, il ne se montre à peu près jamais en incapacité de puissance : il explique ce sentiment par une terreur collectivement partagée de paraître faible.
Le portrait politique que fait Hoess de lui-même, en même temps qu'il commente la situation historique de l'Allemagne peut, à plusieurs reprises, étonner. Il montrera ainsi un regret face à l'extermination et son organisation, mais qu'il justifiera en expliquant que l'extermination – nécessaire au demeurant – a permis, organisée de cette manière, aux Juifs d'aliéner le monde pour exterminer les Allemands. Il se plaindra à plusieurs reprises des initiatives antijuives de son état, mais essentiellement pour leur reprocher de porter atteinte à ce qu'il nomme « l'antisémitisme sérieux ». Il paraît constamment pris entre une étrange lucidité sur l'incapacité de l'Allemagne au tournant de l'invasion soviétique à remporter la guerre tout en maintenant une foi pourtant décillée en l'accomplissement d'un projet impossible selon lui. Il n'en restera pas moins, jusqu'à la fin, un nazi convaincu du bien-fondé de sa « philosophie » et s'il envisage parfois avec une certaine mélancolie la possibilité qu'il aurait eu de rester un simple agriculteur, il ne va jamais jusqu'à l'auto-déploration. Il insiste d'ailleurs à plusieurs reprises sur les crimes commis par les alliés – il se compare ainsi aux pilotes qui bombardent l'Allemagne, tuant des civils, en disant que, tout comme eux, il n'aurait pas pu se défausser de ses ordres militaires –, et il se démène, sans espoir toutefois, pour échapper à l'image de monstre qu'il sait qu'il incarnera nécessairement. Il conclut son mémoire par cette sentence en forme de mot au pied de l'échafaud : « [Les masses ] ne comprendront jamais que, moi aussi, j'avais un cœur ».
Il faut cependant bien noter que l'examen de la solution finale ne constitue pas la matière principale du livre, bien qu'elle constitue un point d'orgue de l'ouvrage. Quand il n'est pas en train de s'analyser en situation, Rudolf Hoess fait preuve d'un goût, complémentaire à l'entreprise d'introspection, très prononcé pour l'examen et la typologie, et c'est presque en émule balzacien qu'il se comporte dans toute une partie du livre. Que ce soit lors de son séjour en prison pour la participation (supposée?) à un meurtre politique ou à travers les différents camps dans lesquels il exerce, Hoess écrit dans son mémoire un véritable traité sur l'emprisonnement qui envisage les situations les plus larges, des deux côtés de la barrière, comme prisonnier et comme gardien. Il réfléchira à des sujets aussi divers que la manière d'organiser les cellules, les privilèges à accorder aux détenus, les différents profils psychologiques de gardien possibles, la réinsertion par le travail à laquelle il croit fermement – d'où son inscription en fer sur le portail, qui n'est même pas à ses yeux ironique – suivant les différents types de prisonniers, la gestion des relations homosexuelles (là encore, typologie) ou les différences entre les habitudes culturelles des détenus suivant leur nationalité.
Le commandant d'Auschwitz parle est, en résumé, un livre parfois dur mais fascinant, puisque rares sont les études de cas auto-menées par des perpétrateurs de crimes aussi grands. Sec, clinique, la plupart du temps précis et très organisé, le ton du livre nous fait entrer dans la psyché dérangeante d'un homme à un point charnière de sa vie où il doit tirer soigneusement son bilan avant de mourir, tout en sachant que son entreprise d'apologie est par essence totalement impossible à mener. Psyché dérangeante, parce qu'il est facile, toute proportion gardée, de se reconnaître dans une figure qui s'ouvre à notre familiarité à cause de ses tourments que l'on partage.
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le 14 déc. 2020
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