Jusque là, j’ai toujours considéré comme assez difficile d’aimer véritablement de la littérature jeunesse. Non pas que je la considère comme de la sous-littérature niaise et simpliste, mais juste parce qu’elle ne m’est pas adressée, et que ma condition d’adulte m’empêche fatalement de découvrir le livre avec un regard d’enfant. Juger de la littérature jeunesse, c’est toujours en prenant un certain recul avec l’œuvre, en se posant des questions sur ses qualités objectives, en identifiant son intérêt pour une classe, et en cherchant à déterminer si elle plairait à un enfant. Parfois, on apprécie assez, même en tant qu’adulte. L’histoire peut vaguement émouvoir, surprendre, mais aime-t-on vraiment ? Car bien qu’étant capable de dire que tel livre est un bon livre de littérature jeunesse, je n’en ai jamais vraiment aimé un.
Enfin, jamais jusqu’à lire cet ouvrage, Le Feuilleton de Thésée, et c’est un peu la raison de cette introduction un peu longue et pompeuse (j’en conviens). Parce que je pense justement pouvoir dire que j’ai aimé ce livre pourtant adressé à un public de 8-10 ans, et c’est trop rare pour être souligné. Car outre ses nombreuses qualités que je développerai par la suite, j’ai pris beaucoup de plaisir à le lire.
Pour commencer, le premier intérêt du Feuilleton de Thésée tient dans son concept : raconter la mythologie grecque, et plus particulièrement l’histoire du héros Thésée, en 100 épisodes. A chaque épisode un pan de la vie du personnage, un suspense qui pousse à lire le suivant et une morale, ou en tout cas une incitation à méditer certains comportements, certaines peurs ou certaines idées. En comptant une petite dizaine de minutes par épisode, soyez surs que le livre saura captiver les enfants, ce qui en fait un support idéal pour les instituteurs en panne d’idées pour leur lecture offerte en classe.
On débute l’histoire en découvrant le jeune Thésée, enfant encore ordinaire et instruit par son mentor Connidas, qui ne cessera d’évoluer au fil des épisodes. Un choix qui permet une identification solide au héros dès le début de l’ouvrage, ce qui ne fera qu’augmenter l'impact des nombreuses leçons de vie que propose ce récit initiatique. Après avoir suivi les traces d’Héraclès et observé sa rage meurtrière, Thésée apprendra à réfléchir sur le héros qu’il idolâtre et à modérer son impulsivité ; en se confrontant au labyrinthe de Dédale et au minotaure qui y rode, Thésée apprendra à dominer ses peurs ; en accédant au trône d’Athènes, Thésée apprendra la valeur de l’homme et de la justice… Et quand Thésée apprend, le lecteur apprend avec lui, d’où la force de cet ouvrage riche d’enseignements toujours finement intégrés au récit.
Tout ceci sans évoquer le cadre mythologique choisi et son puissant pouvoir d’évasion. On navigue entre monstres, Dieux, héros, devins et autres lieux magiques qui laissent franchement rêveurs. À travers les yeux de Thésée, on rencontrera de nombreuses grandes figures de la mythologie, et si quelques libertés sont prises de temps à autres, on s’étonnera de leur rareté et de la fidélité globale de l’œuvre avec son matériau original. On pourrait croire qu’il est difficile d’aborder la parenté d’Héraclès, ou comment Zeus trompa Alcmène en se faisant passer pour son mari, la façon dont il a massacré sa femme et ses enfants dans un effroyable bain de sang, ou encore comment Œdipe a tué son père et pris sa propre mère pour épouse… et pourtant Le Feuilleton de Thésée nous relate bel et bien ces événements, utilisant les termes d’adultère et d’inceste, toujours avec une certaine pudeur adaptée à son public, mais sans dénaturer les mythes dont il s’inspire.
En bref, Le Feuilleton de Thésée est une réussite sur tous les points. Que ce soit dans sa manière d’aborder la mythologie, de faire passer de vrais messages, bien amenés et suscitant le débat, ou encore dans ses choix narratifs, l’ouvrage fait preuve d’un véritable perfectionnisme, comme en témoignent d’ailleurs ses illustrations simples, épurées et s’inspirant de l’art de la Grèce antique. Un livre à conseiller largement car il ravira finalement les petits comme les plus grands.
Alors comme diraient mes élèves : « Thésée-vous, ça va commencer ! »