Fabuleux.
Le dessin, le texte et la mise en page embarquent très loin, et ça fait du bien, malgré la mélancolie douce-amère.
On pense un peu au Gaston de Franquin, mais Gaston dans ces moments les plus poétiques, et pour enfants plus jeunes.
On pense aussi, bizarrement, aux barbapapas.
Plume et Séraphin sont des tendres dans un monde dur. Comme chez Gaston et Barbapapa, les voisins, les concierges, les petits-chefs et tout ce qui porte uniforme est agressif, mesquin bête et inhumain - il y a un rejet de la société occidentale des années 50/60, ressentie comme de + en + aliénante et déshumanisante, avec l'idée rousseauiste que l'individu peut être bon, mais que, pris dans les institutions, il devient mauvais ( en général, ce courant de pensée ne s'attarde pas sur le fait que ces institutions ont été crées par les individus ). Le mouvement Hippie n'est pas loin, même si les personnages ne sont pas hippies.
Le logement et surtout le travail sont des angoisses, mais pas parce qu'ils manquent, plutôt parce qu'ils sont insupportables. Comme chez les barbapapas et Franquin, il y a une obsession des démolisseurs et des bétonneurs, montrés comme le mal absolu, les engins de chantier utilisés comme des espèces d'animaux monstrueux.
Comme chez les barbapapas, on déniche ( de façon très irréaliste) une vieille demeure à l'abandon, qu'on va retaper. Il y a la même fascination pour l'architecture et l'ingénierie bricolée, la récup.
Comme chez les barbapapas et Franquin, les héros s'en tirent en bricolant et en inventant.
Il y a les mêmes ambiguïtés entre la peinture d'un monde vieilli-aigri coinçant les jeunes ( la génération ayant vécu les rigueurs de la guerre ne tolérant pas l'envie de liberté de la génération suivante ), et en même temps, de façon un peu contradictoire, un rejet du "progrès" ( les travaux, les démolitions, les nouveaux immeubles...), et en même temps pourtant, la solution vient de l'invention et de la construction; mais c'est une construction et une invention individuelle, basées sur le bricolage inspiré, et le recyclage ( Gaston et Séraphin assemblent de façon incongrue et assez fantastique des objets disparates détournés de leur fonction initiale, obtenant des résultats improbables ), opposées à une invention et une construction industrielles et "carrées".
L'album finit en pure poésie ( on peut penser à UP de Pixar, l'envol de la maison du vieil homme cerné par les démolisseurs ), dans une fuite qui pourrait être une métaphore de la mort s'il n'y avait pas 2 autres tomes.
Et ça c'est terrrrrrrible : A l'initiative de l'écrivain Paul Lidsky, Hoëbeke a réédité le tome 1 à l'identique ( les miracles arrivent ! je me suis jeté dessus ) mais pas les 2 et 3, épuisés depuis très longtemps.
Or chacun des tomes a une tonalité, et le 2e est indispensable pour découvrir pleinement la beauté du travail de Philippe Fix, et sortir un peu de la mélancolie du 1.