Guillermo Arriaga semblait avoir tiré un trait sur sa carrière de romancier depuis la parution de Le bison de la nuit (1999 au Mexique, 2005 en France), tout aussi bon, sinon meilleur que ses deux premiers livres. Depuis près de 20 ans, hormis pour un recueil de nouvelles, le mexicain s'était consacré pleinement au cinéma en tant que producteur, scénariste (21 grammes, Babel, Trois enterrements) et réalisateur (Loin de la terre brûlée). L'annonce de son retour en littérature a donc été une bonne nouvelle et la lecture de Le sauvage rien de moins qu'une déflagration, tant ce roman fleuve possède une puissance hors normes, tout en charriant une multitude d'alluvions, inévitables dans un livre aussi touffu, chargé et flamboyant. Le sauvage est le livre de la violence mexicaine, nourrie à la corruption des politiques et de la police, bénie par les autorités religieuses. Dès la deuxième page, la messe est dite, si l'on ose dire, le narrateur, Juan Guillermo, annonçant froidement que l'ensemble de sa famille, parents, frère, grand-mère et même chien et perruches allaient mourir dans un laps de temps de 4 ans. Dès lors, Guillermo Arriaga va nous raconter l'histoire de ces disparitions en passant sans cesse d'une temporalité à une autre, comme des vagues successives arrivant sur la plage des souvenirs, au risque de perdre son lecteur. Il y a malgré tout une ligne narrative forte, qui est celle de l'assassinat du frère de Guillermo, pour lequel ce dernier se sent coupable et a surtout décidé de se venger. Mais en parallèle, un autre récit se développe et prend de l'ampleur : celui de la traque d'un loup par un trappeur, au nord du Canada. A cela s'ajoutent des coquetteries typographiques sur certaines pages, de courts chapitres consacrés à Newton, Von Clausewitz, Socrate ou Jimi Hendrix, l'évocation d'un certain nombre de curiosités historiques ou ethnologiques, sans oublier l'établissement de listes plus ou moins en rapport avec les thématiques du livre. Il y a bien parfois une impression de trop plein et de luxuriance, avec une multitude de digressions, et le roman n'aurait sans doute pas été moins efficace en étant raccourci mais l'intensité et la force du style d'Arriaga finissent par annihiler toute résistance. Il y a dans Le sauvage des scènes d'une incroyable magnitude (9 sur l'échelle de Richter), notamment celles qui opposent Juan Guillermo à un loup qui n'a connu que la captivité mais qui n'a jamais renoncé à une férocité atavique. C'est bien là que se situe l'acmé du livre : L'homme est un loup pour l'homme et l'apaisement ne viendra qu'en toute fin de roman quand les aliénations morales et physiques auront disparu. Il y a sans doute dans Le sauvage de quoi écrire 3 à 4 romans distincts. Le livre n'est pas captivant à tous les instants mais quand il l'est, ce qui est assez fréquent, c'est avec une vigueur et une splendeur que l'on retrouve rarement dans la littérature contemporaine. On en sort lessivé et tout surpris d'être indemne.

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le 20 mai 2019

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