Un classique qui a mal vieilli...
Marié à une femme frigide et bigote, Hal Yarrow étouffe dans la forme de civilisation imposée par le Clergétat. C'est pourquoi il accepte avec enthousiasme la proposition du Sandalphon Macneff de quitter la Terre à bord de l'astronef, le Gabriel, pour la planète Ozagen.
C'est là que Hal rencontre Jeannette, une jeune fille dont l'origine reste obscure.
Avec effroi d'abord puis passion, Hal Yarrow découvre l'amour charnel, lui qui n'avait jamais vu le corps nu de sa propre femme. Il n'hésite pas à braver la hiérarchie et les saints abbés qui dirigent l'expédition terrienne. Pour protéger son amour, il va jusqu'au meurtre. Mais est-il bien sûr que cette créature, sortie d'on ne sait où, est réellement humaine ? (1)
Voici le roman qui introduisit le sexe dans la science-fiction – le jeu de mot étant aussi involontaire qu'approprié, je le garde. Au départ une novella (2) parue en 1952 et qui valut à Philip José Farmer le prix Hugo du Nouvel auteur en 1953, Les Amants étrangers demeure le roman de science-fiction qui le premier aborda de front le concept de la sexualité dans le genre, c'est-à-dire qu'il utilisait ce sujet comme un thème central sans lequel le récit tout entier ne pouvait avoir lieu. Mais si son importance historique ne laisse aucun doute, son intérêt littéraire reste hélas plus sujet à caution : l'ouvrage, en effet, ne date pas d'hier...
Car ce qui s'avérait dérangeant il y a un demi-siècle ne peut plus forcément en dire autant de nos jours. À l'époque où Farmer écrivit la novella originale, le puritanisme battait son plein aux États-Unis, et accoucher d'un récit qui se montrait aussi ouvertement anticlérical, d'une part, et aussi érotique, d'autre part, prouvait une ambition littéraire ou du moins iconoclaste certaine – surtout au sein d'un genre considéré comme à peine bon pour un public adolescent : on imagine sans peine les réactions des associations vouées à la protection de la jeunesse si la science-fiction avait été plus populaire qu'elle l'était.
Mais c'était aussi le temps du maccarthisme, du moins à l'époque de la novella de départ, encore une fois, et afficher une relation amicale avec le représentant d'une civilisation aussi différente, car plus primitive et plus libertaire sous bien des aspects, relevait d'autant plus de l'impensable que la relation en question était aussi amoureuse. Mais seulement, voilà : le maccarthisme a vécu – il était déjà assez passé de mode à l'époque où la novella devint un roman d'ailleurs, même si des foyers importants restaient vivaces. Bref, l'intérêt en quelque sorte sociétal, voire politique, du récit a assez vite subi un sérieux coup dans l'aile lui aussi.
On peut dire aussi que Les Amants étrangers montrait également une civilisation terrienne vouée à la domination des étoiles – un truisme de l'époque devenu depuis un cliché assez encombrant – mais dont un des représentants au moins s'avérait réfractaire à cette idéologie impérialiste, au mieux, voire franchement belliciste, au pire – ce qui était assez nouveau, ou en tous cas entrait encore dans le registre de l'original. Hélas, ou plutôt tant mieux, la science-fiction a depuis longtemps reconsidéré un tel thème narratif et bien rares sont à présent les productions du genre qui s'articulent sérieusement autour d'une idée aussi réactionnaire.
Voilà pourquoi, cinquante ans après, il est devenu difficile de persister à voir dans ce livre un chef-d'œuvre de la science-fiction au lieu d'un ouvrage dont l'importance historique ne se discute plus, certes, mais qui au final en reste là. Si Les Amants étrangers ravira tous ceux d'entre vous qui ont une âme d'historien, les autres préfèreront probablement passer leur chemin...
(1) cette chronique concerne l'édition J'AI LU de 1974 (collection Science-Fiction n° 537, 256 pages, ISBN : néant).
(2) un texte dont la longueur en fait un intermédiaire entre la nouvelle (histoire courte) et le roman.