Avec une vie comme celle-là et un style pareil, ça aurait été dommage de ne pas en faire quelque chose comme ça !
A déconseiller aux habituels détracteurs d'André. C'est tout lui. C'est même pire que lui, c'est lui à bloc, un genre de sur-Malraux, seul derrière son bureau en train de nous refaire le vingtième siècle. Spiritualiste ou pas, là n'est pas la question, s'il y a une question.... Quelle est votre question ? Bien sûr, qu'il était là. Il a tout fait, tout, ou presque. L'histoire, l'Histoire même, avec une majuscule comme André, et Malraux, reprend au bout de la Voie royale, juste après la prison ; parce qu'André n'était pas un planqué, la guerre donc, première ligne, dans son tank qui évite les obus et les pièges, et bim, bang, explosion, André est en sueur derrière sa machine à écrire, le cœur qui bat à cent à l'heure ! C'est faux ? Et alors, c'est des Antimémoires, on s'en fiche, et puis tout le monde le sait que sa mythologie elle rime avec mythomanie, mais bon, le vingtième siècle ne s'est pas fait tout seul. D'ailleurs, il ne l'a pas fait tout seul, ils l'ont fait à deux, avec De Gaulle, mais on y reviendra, les dîners entre amis, Charles et Yvonne, à La Boisserie, le pot au feu près de la cheminée, c'est si intime, ça sera un chapitre plus tard, la rencontre, ah quel homme Charles, embobinage ou passion politique, on s'en fiche, les faits sont là, grandiose, poignées de main, Panthéon, patrie reconnaissante, grands hommes.
Malraux, avant beaucoup, c'était le roi du name-dropping, pire qu'un roman de Ellis, dans l'autobiographie de Malraux, il y a De Gaulle bien sûr (et une chouette petite claque à cette couinette de Rousseau, regardez : "L'orgueilleuse honte de Rousseau ne détruit pas la pitoyable honte de Jean-Jacques, mais elle lui apporte une promesse d'immortalité. Cette métamorphose, l'une des plus profondes que puisse créer l'homme, c'est celle d'un destin subi en destin dominé.") mais à en croire les chapitres suivants, ça devait être un paresseux ce brave Charly, parce que voilà, dans tous les grands rendez-vous, c'est encore Dédé qui s'y colle, un thé avec Nehru, le temps de refaire le monde, ou un déjeuner avec Mao, et toujours la même volonté d'étendre son image de la culture ; toujours les mêmes grands thèmes, l'Asie, l'Occident, et puis, forcément, La condition humaine, à travers le monde, et le temps, et l'univers. Non, là, il efface, ça va un peu trop loin mais bon, ça pourrait : Malraux n'a peur de rien. Dailleurs, André, pourquoi se souvenir ?
"Parce que, ayant vécu dans le domaine incertain de l’esprit et de la fiction qui est celui des artistes, puis dans celui du combat et dans celui de l’histoire, ayant connu à vingt ans une Asie dont l’agonie mettait encore en lumière ce que signifiait l’Occident, j’ai rencontré maintes fois, tantôt humbles et tantôt éclatants, ces moments où l’énigme fondamentale de la vie apparaît à chacun de nous comme elle apparaît à presque toutes les femmes devant un visage d’enfant, à presque tous les hommes devant un visage de mort."
Ah oui, c'est du Malraux, c'est toujours écrit comme ça, si vous détestez, passez votre chemin, mais sinon, quand même, ça vaut le coup ; c'est plus marrant que les Mémoires de De Gaulle.