Finaliste du prestigieux National Book Award, Les Autres Américains décrit précisément les bouleversements d’une famille à la suite de la mort du patriarche tout en posant les bonnes questions sur l’immigration et l’appartenance à un pays.
Un roman choral comme il en existe tant d’autres, certes, mais un roman choral adoubé par le magazine Time et les écrivains J. M. Coetzee (Prix Nobel de littérature 2003) et Viet Thanh Nguyen (auteur du Sympathisant) ne pouvait que retenir mon attention. Laila Lalami, professeur de création littéraire à l’Université de Californie à Riverside, écrit ici sur la famille et l’immigration. Née à Rabat au Maroc mais ayant fait une partie de ses études aux Etats-Unis, elle n’a d’ailleurs pas écrit Les Autres Américains en arabe ou en français, mais en anglais. Loin des plages de Los Angeles ou de l’aridité de Big Sur, le roman s’intéresse à Mojave, ville perdue en plein désert.
Driss Guerraoui, Américain d’origine marocaine, est renversé alors qu’il vient de fermer le diner dont il est propriétaire. Le chauffeur du véhicule ne s’arrête pas et laisse le cadavre au milieu de la route. Sa fille Nora, bouleversée par la nouvelle, ne croit pas à la thèse de l’accident. Seul témoin de la scène, Efrain Aceves n’ose se rendre au commissariat pour témoigner : immigré mexicain, ses papiers ne sont pas en règle et l’extradition le guette. Accompagnée de sa mère, de sa sœur et d’un ancien ami policier, Nora cherche à faire la lumière sur cet accident tout en découvrant peu à peu qui était son père.
Autant le dire tout de suite afin d’éviter les déceptions : Les Autres Américains n’est pas un polar. Si la trame globale peut s’apparenter à celle du roman policier, le roman s’intéresse beaucoup plus à la description de la vie intérieure des protagonistes. Nora réapprend à connaître sa ville et à fréquenter ses anciens amis, sa sœur Salma s’enferme dans un bonheur de façade et leur mère Maryam ne peut s’empêcher de revivre les événements qui ont précipité leur départ du Maroc. A la famille Guerraoui s’ajoute l’enquêtrice Coleman, le policier Jeremy, le témoin Efrain Aceves et le chauffard responsable de l’accident. Les Autres Américains ne s’intéresse pas seulement au travail de deuil, mais aussi aux « pressions auxquelles sont soumis les Américains ordinaires d’origine musulmane depuis les événements du 11 septembre » (J. M. Coetzee). Si les filles Guerraoui se considèrent comme parfaitement américaines, les événements les ramènent toujours à leur origine marocaine, comme ces fois « lorsque le professeur d’histoire posait une question au hasard sur le Moyen-Orient et que tous les regards se tournaient vers moi dans l’attente d’une réponse ». Laila Lalami signe ici un grand roman sur le deuil et sur ce qu’est être américain lorsque l’on est enfant d’immigrés.
« J’étais submergée par le sentiment d’avoir en quelque sorte failli à mon père. Il n’avait même pas été mentionné dans la procédure : l’accent avait été mis sur l’histoire de Baker, sa famille, le fait qu’il avait servi dans l’armée, et on lui avait ainsi accordé le bénéfice du doute. Mais si, la nuit du 28 avril, les rôles avaient été inversés et que Mohammed Driss Guerraoui avait tué un homme avec qui il était en conflit depuis des années, n’aurait-il été inculpé que de délit de fuite ? Le procureur aurait-il aussi rapidement accepté la mise en liberté sous caution ? Ayant grandi dans cette ville, cela faisait longtemps que j’avais appris que la sauvagerie d’un homme prénommé Mohammed était rarement mise en doute, mais que son humanité restait toujours à prouver. »