Unique roman de l'auteur égyptien Waguih Ghali, publié dans les années 1960 en langue anglaise, Les Cigarettes égyptiennes est le portrait doux-amer de l'élite cosmopolite et cultivée de l'Egypte confrontée à l'arrivée au pouvoir, dans les années 1950, du colonel Nasser.


Avec une grande justesse, et beaucoup d'autodérision, Waguih Ghalib raconte l'histoire du jeune Ram, à l'éducation anglaise et à la religion copte, vivant aux crochets de sa riche famille et passant ses journées à fréquenter les luxueux clubs du Caire où se croise la haute sphère de la société égyptienne.


S'inspirant sans aucun doute de sa propre vie, l'auteur varie constamment entre l'humour mordant et le constat pessimiste et implacable de la déchéance de cet univers déconnecté des réalités sociales de la Haute-Egypte, usant l'anglais ou le français plutôt que l'arabe et préférant débattre de la vie politique intérieure du Royaume-Uni que des injustices de leur propre pays.


Derrière l'humour omniprésent, se cache ainsi une grande tristesse, sans doute à l'origine du suicide de l'auteur en 1969. Au fil des pages, on voit ainsi disparaître une société s'enfermant dans la haine de l'autre, perdant sa diversité culturelle (il y avait encore des communautés juives, arméniennes ou grecques à l'époque relatée par le roman), donnant les clés à l'armée, s'enfonçant encore plus dans la pauvreté et l'autoritarisme.


Une lecture à la fois plaisante et essentielle pour comprendre l'Egypte d'aujourd'hui.


                                                         ***

"Au milieu des juifs, poursuivit-il, je perds toute ma personnalité. Je tombe d'accord avec tout ce qu'ils disent et je me comporte exactement comme ils l'attendent. En fin de compte, je n'ai plus aucune pensée personnelle. Ce serait un suicide" (p. 45)


"Le Caire et Alexandrie étaient des villes cosmopolites, non pas tant parce qu'elles étaient peuplées d'étrangers, que parce que les Egyptiens qui y vivaient étaient eux-mêmes étrangers à leur pays" (p. 56)


"Bientôt nous ressentîmes l'appel de ce monde qui se couvre de neige et de glace en hiver, et où les toits sont rouges et pointus. Oui, ce mondes des intellectuels et du métro, les rues pavées des villes et cette campagne verte que nous n'avions jamais connue, nous attiraient. Là-bas, les étudiants vivaient dans des mansardes, sortaient avec des dactylos, chantent en choeur et buvaient de la bière dans de grandes chopes. C'était un monde entièrement imaginaire qui nous appelait à grands cris. Un monde où toutes les villes d'Europe se mêlaient, où les pubs étaient des "zincs", où les Champs-Elysées descendaient vers Piccadilly. (p. 58)


" L'ennui, c'est que j'aime ce genre de choses. J'adore parader, la main dans la poche, avec un soupçon de manchette qui dépasse, le gilet qui se devine, imperceptible sous la veste, et une pointe de pochette. J'adore cela. Et j'en ai conscience" (p. 141)


" Je trouvai un taxi devant le club. Me tournant vers le chauffeur, je lui demandait comment allaient les affaires. Je vais vous dire, m'expliqua-t-il. Avant la révolution, on ne trouvait des clients que dans les quartiers riches. Maintenant, les militaires se promènent en taxi eux aussi. Ce qui fait que nous avons maintenant à la fois les richards et l'armée" (p. 159)

Zeldafan70
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le 25 juil. 2019

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