Hattie a 16 ans lorsqu'elle débarque à Philadelphie, fuyant la Géorgie où règne la ségrégation, accompagnée de sa mère et de ses soeurs. Son projet, avec August, son mari, dont elle aura des jumeaux six mois après leur mariage, ést d'acheter la première maison qu'ils louent...
Mais le destin ne sera pas si rose! August est nonchalant, il préfère les beaux costumes et les sorties nocturnes aux responsabilités familiales. Et puis les enfants vont venir, les uns après les autres: onze!
Le choix narratif d'Ayana Mathis, c'est d'évoquer l'histoire de chacun de ces enfants, en presque autant de chapitres (car il y a des jumeaux, et une petite-fille).
Le premier évoque le bref et tragique destin des premiers nés: les jumeaux Philadelphia et Jubilee. Ils meurent en effet à sept mois de pneumonie: c'est que leur mère n'a pas les moyens d'acheter les médicaments qui auraient pu les sauver. D'emblée, l'auteur nous prend aux tripes et nous livre un récit poignant. La force de la mère apparaît déjà.
Les deuxième et troisième chapitres parlent des vies de Floyd, beau jeune homme talentueux (excellent trompettiste), qui découvre avec un plaisir partagé de honte sa première expérience homosexuelle. La description de cette scène est d'une grande qualité littéraire. Six, lui, victime d'une grave brûlure pendant son enfance, a des dons d'orateur mais doute de ses convictions de pasteur.
Je ne vais pas évoquer tous les personnages...
En filigrane, d'un chapitre à l'autre, c'est de Hattie, la mère, de sa forte personnalité, dont il s'agit. Femme énergique, responsable, femme de tête. Toujours là quand il faut. Devinant les actes et les pensées de ses enfants, sachant leur apporter le soutien au moment opportun. Oui, que de qualités... mais aussi, femme froide, ou plutôt ayant du mal à exprimer ses sentiments, ce qu'elle regrette et dont elle souffre. Mais élever onze enfants, sans le soutien d'un mari immature et sans caractère, en sacrifiant ses rêves, ses désirs, c'est pas facile. Hattie, parfois découragée, ne résiste pas, à un moment, à la fuite. Puis, finalement, elle assume.
Ce profil de femme forte, insoumise et fière, fait penser à celles décrites dans les romans de Toni Morison.
En toile de fond, ce sont les EU d'Amérique du début du xxème siècle, avec son cortège d'injustices de toute sortes: pauvreté, racisme etc. Cependant Hattie n'est pas une révoltée, elle accepte son triste destin avec abnégation. On a l'impression que son leit-motiv, c'est: faire face.
Ce premier roman d'Ayana Mathis, même si son intensité faiblit un petit peu à la fin, reste une très grande réussite. Comme les grands romanciers, elle sait parler du tragique de la vie.