Les Furies de Lauren Groff n'est pas un mauvais livre, ce n'est pas non plus un excellent livre, qui coupe le souffle ou hante les rêves. Très objectivement, c'est un livre plaisant, entre le livre de plage et le livre de salle d'attentes, avec une légère plus-value stylistique. En fait, il est légitime de préciser que si le livre nous plonge dans un univers où peu à peu le lecteur prend ses marques et s'immerge dans un environnement (un très charmant Sud américain, Floride and cie), il ne va pas pour autant révolutionner notre façon de voir la vie ou notre manière de comprendre tel ou tel sujet. Ce livre raconte tout simplement, d'abord du point de vue de Lotto le Mari et puis de Mathilde, l'Epouse, une histoire de vie et de couple aux nombreux faux-semblants et aux compromissions successives. Un thème plutôt classique en réalité, tant de nombreux auteurs classiques avaient déjà traité la question et bien plus brillamment. Cependant, ce serait mauvaise foi que de dire que le livre est médiocre car, assurément, il ne l'est pas, c'est un livre moyen.
Du point de vue du style, c'est très inégal, parfois très travaillé, il peut tout à coup devenir lapidaire & exclusivement narratif comme si tout à coup l'auteure s'était rendue compte qu'il fallait avancer, et qu'elle avait cessé de travailler chaque mot et chaque phrase. Les descriptions des lieux et du temps n'est pas mauvaise, parfois un peu répétitive. La description des personnages est mieux réussie, même si elle se consacre uniquement sur Lotto & Mathilde, les autres étant un peu oubliés. Néanmoins, c'est un parti-pris qui peut se comprendre car la raison d'être du roman se fonde sur ce couple. La structure narrative est intéressante car déstructurée, un peu à l'américaine, avec du storytelling et une volonté de cliffhangers un peu éculés, du coup un peu inefficaces. Le point noir est peut être que ce livre est contemporain : il n'apporte pas spécifiquement de réponse sociale et collective à un problème civilisationnel, il effleure le sujet sans le traiter, donne une réponse psychologisante et parfois un peu caricaturale aux questions légitimes que se posent le livre. Parfois, il est un peu énervant de constater que l'écrivaine se tue à se donner bonne conscience en exploitant des stéréotypes pour revêtir un habit de modernité.
Le point fort du roman est qu'il pose une question essentielle à la civilisation : qu'est ce que le couple et à quoi sert-il ? Est ce une émanation de la passion ou doit-il être une construction sociale et intellectuelle détachée de ce dernier ? Ainsi, le couple serait par nature hypocrite et servirait à affronter le monde ensemble, quitte à l'entacher de mensonges et même de changement de personnalité radical. Par la description des personnages, notamment dans les dernières pages, on se rend compte qu'il sert à des individus pour s'élever, dans une fusion à deux, leur permettant de ravaler leurs mauvais instincts et leurs mauvaises faces, dus parfois à leur histoire (Mathilde). Le couple serait une entité nécessaire à la stabilité psychologique et sociale d'individus, une association d'individus qui s'entraideraient, pendant toute leur vie, détachée de l'idée du sexe, de la passion ou même de l'attrait sentimental. Si le livre ne tranche pas sur le sujet, il a le mérite de ne pas être manichéen et de ne pas tomber ni dans un extrême ni dans l'autre. Ni trop traditionnel ni trop moderniste. Et même si ce roman n'est pas un grand roman, qu'il n'apporte que de petites réponses, il a le mérite de poser de grandes questions.