Situé non loin du trou du cul du monde, si l’on peut assimiler cette partie de l’anatomie humaine aux effluves méphitiques de ce coin du bayou, le petit port de Jeanette a connu jadis des jours plus florissants, si l’on considère la piraterie et la contrebande comme des activités honorables. Mais depuis le cyclone Katrina, l’ambiance oscille entre la morosité et la déprime. Une situation aggravée par l’explosion de la station off-shore Deepwater Horizon. L’accident a engendré en effet une marée noire catastrophique dont BP s’est empressé de tempérer l’impact à grand renfort de dollars. En attendant, la crise guette et les pêcheurs de crevettes de la baie de la Barataria comptent leurs pertes, tout en continuant à se tuer à la tâche. Depuis des décennies, ils se sont habitués à être les laissés pour compte de la Louisiane. Que la région pourrisse sur pied, empoisonnées par les galettes d’hydrocarbures, ne semble pas en effet au cœur des préoccupations des autorités bien plus attachées à la sauvegarde de l’écosystème qu’au devenir des travailleurs pauvres.
Ce merdier ne touche pas les frères Toup, deux canailles qui, avec la complicité passive de la police locale, ont transformé une île du bayou en pépinière de cannabis. La meilleure de la région si l’on se fie aux consommateurs de la Nouvelle-Orléans. En authentiques sociopathes, ils surveillent jalousement leur El-Dorado, n’hésitant pas à user de la menace, voire pire, pour se débarrasser des fâcheux. Ils ont fort à faire avec Lindquist, un pêcheur manchot carburant à l’alcool et aux anti-douleurs, qui s’est mis en tête de retrouver le trésor caché du pirate Jean Lafitte. Une vraie tête de mule, pourtant pourvu d’un cœur d’artichaut, comme le constate Wes Trench, un adolescent naïf, en froid avec son père. Et puis, il y a ces deux bras cassés, Cosgrove et Hanson, venus dans le coin avec l’intention de rafler le pactole, quitte à piétiner les plate-bandes des frères Toup. Ouaip ! L’orage menace dans le bayou…
Avec Les Maraudeurs, Tom Cooper convainc sans peine l’amateur de roman noir. Il dresse un portrait du bayou et de ses habitants à la fois grinçant et immersif, happant le lecteur d’entrée de jeu. On se prend à s’attacher à cet échantillon d’humanité, un ramassis de ratés, même pas magnifiques. Des pauvres types qui se sont bâti une existence en carton pâte, éblouis par le miroir aux alouettes de leurs illusions. Des gagne- petits, durs à la peine, la carcasse esquintée par l’âpreté de la vie, un labeur inlassable ne rapportant pas tripette et pourtant seul horizon auquel ils aspirent depuis des générations. Un petit peuple cajun ayant bien du mal à se dépêtrer d’un atavisme ancestral fermement chevillé au corps.
Si l’intrigue ne casse pas trois pattes à un dendrocygne à ventre noir, elle fournit cependant une ligne de basse entêtante dont le rythme ne se relâche à aucun moment. On se laisse ainsi porter par l’enchaînement des faits, un cercle vicieux sous-tendu par le regard vachard de Tom Cooper, dont le point de vue n’est cependant pas complètement exempt de tendresse pour ces existences fracassées.
On apprécie aussi le décor luxuriant du bayou, ce territoire aux frontières fluctuantes, symbiose fragile et capricieuse entre terre et golfe du Mexique. Une région de la Louisiane restée à tous points de vue une frontière, dont l’auteur restitue avec brio l’atmosphère délétère, la moiteur accablante et la misère endémique. Sur ce point, Les Maraudeurs s’apparente à une chronique sociale dressant en creux le portrait d’un milieu au pire en passe de disparaître, au mieux condamné à la précarité.
Bref, on ne peut que suivre les louanges de Stephen King et de Donald Ray Pollock, et louer à notre tour les qualités d’un premier roman, au final jubilatoire et foutrement attachant.
Source