Jean-Paul Delfino, en principe coutumier des vastes contrées brésiliennes, embarque ses lecteurs dans une folle nuit en compagnie d’Erik Satie et de Blaise Cendrars.
Années 1920, la Grand Guerre est passée par là. Paris revit, Paris frémit. Satie et Cendrars ne sont encore que des génies ignorés, miséreux, pas moins aventureux.
C’est évidemment dans un troquet miteux de Montmartre que les compères vont se (re)rencontrer et affronter une nuit parisienne qui frôlera tantôt le rêve, tantôt l’absurde. L’un en quête d’un amour perdu, Suzanne Valadon, que Satie a surnommé Biqui après une unique nuit entre ses bras. L’autre chassant Cocteau qu’il accuse d’avoir volé l’argument de son opéra.
Départ immédiat pour une nuit dont on retiendra notamment l’épisode des trois rats de l’opéra. Devenus obèses d’avoir été privés des années durant puis recueillis sous la coupole de Garnier pour se nourrir chaque dimanche, des carpes du sous-sol. Mais aussi, ce détour par le cimetière du Père Lachaise à la rencontre de la mémoire de Guillaume Apollinaire. Cendrars y contera l’agonie, malencontreuse car survenue au moment où les parisiens défilaient dans la rue en criant « A mort Guillaume » s’adressant non pas au poète, mais au tsar Guillaume II d’Allemagne.
C’est comme les guerres. On veut bien que les mômes les fassent et, même, on est fier de les accompagner dans les trains de la mort en chantant La Marseillaise. Mais quand la vieille crevure vomit les gamins qu’elle a pas pu digérer, il se trouve plus grand monde pour les accueillir à la maison. Quand il leur manque en plus un oeil ou une jambe, on préfère pas les voir.
Un conte historique romancé et toutefois documenté de manière pointue. Delfino n’en délaisse pas moins la poésie des années folles usant de la métaphore filée des étoiles et d’un préposé à l’allumage des réverbères que Cendrars et Satie suivront comme les bergers jadis avec l’astre du Nord.
Une écriture fine, adaptée au jargon de l’époque,drôle, burlesque, poétique ; ponctuée de répliques cinglantes que l’onirisme de cette nuit d’ivresse tend à adoucir.
Impossible de reprocher à Delfino ses références constantes à l’époque folle, car impossible de prendre part à ce voyage sans évoquer le succès perdu du Chat Noir ni les grandes fêtes de la Closerie des Lilas. Le lecteur s’en trouvera immanquablement touché par le syndrome de l’âge d’or…