Couleurs de l'incendie est le second tome d'une trilogie inaugurée par Au revoir là haut. Ce premier opus récompensé par le prestigieux Prix Goncourt et adapté avec succès au cinéma, présageait une suite d'autant plus spectaculaire. Pierre Lemaitre relève le défi avec une plume aussi mouvementée que celle de Dumas.
Si le contexte de guerre d'Au revoir là-haut rendait l'histoire nécessairement masculine, l'entre-deux-guerres de Couleurs de l'Incendie fait la part belle aux femmes, au détriment d'hommes bien moins héroïques qu'ils le furent dans le premier tome. Pierre Lemaitre s'intéresse en effet à Madeleine, dernière représentante féminine de la famille Péricourt dont le patriarche vient de disparaitre. Chez Lemaitre un coup de théâtre n'arrive jamais assez tôt, les obsèques de Marcel Péricourt sont ainsi troublées par un drame qui va changer à jamais la vie de Madeleine et de son jeune fils Paul.
Le décor est ainsi planté et avec drôlerie puisque le lecteur s'étonnera de rire dès les premières pages pourtant consacrées aux obsèques de feu Péricourt. L'aventure de Madeleine ne fait que commencer. Par un geste désespéré, son fils Paul a en effet ouvert la boîte de Pandore, attirant vers l'entreprise Péricourt les plus perfides personnages. Madeleine s'en trouve ruinée, dévastée, déclassée. D'aristocrate elle devient bourgeoise. Mais Pierre Lemaitre n'en a pas terminé, autrefois marionnette Madeleine va se métamorphoser en un dieu omniscient et destructeur.
"Pour que les dieux s'amusent beaucoup, il faut que les héros tombent de haut" D'après Jean Cocteau."
L'incendie qui se prépare en Europe brûle également dans les coeurs de Paul et de Madeleine rongée par la culpabilité et la soif de vengeance. Dans ce monde dirigé par les hommes, Madeleine tente ainsi de se frayer un chemin, autrefois crédule elle devient machiavélique. Son fils Paul, emprisonné dans un corps mort et en proie à des vue de l'esprit traumatisantes trouve refuge dans la musique, son esprit se met alors à tourbillonner dans tous les sens. Les génies de Madeleine et de Paul grandissent ensembles face à l'adversité.
Dans ce second tome, Pierre Lemaitre oppose un monde masculin de traitrise, de perfidie, d'ambition démesurée et malsaine à un monde féminin fait d'amour et de réconfort mais aussi de coup-bas diaboliques et de chantage. Les femmes sont séductrices et malignes, elles n'ont d'ailleurs pas de scrupules à se servir de leurs corps pour berner ces faibles esprits masculins.
Lemaitre pianote de rebondissements en rebondissements avec simplicité, sans jamais égarer le lecteur qu'il interpelle parfois directement lorsqu'une référence à Au revoir là-haut s'impose. Il contextualise son récit avec soin passant sans lourdeur de la crise des années 1930 à la prise de pouvoir d'Hitler. Il dépeint une France touchée par la déconfiture et élabore des parallèles avec notre temps en décrivant cette fraude fiscale qui gangrène les élites, ce pétrole roumain sorti de nul part qui ne fait pas le poids face à l'hydrocarbure irakien...
Le lecteur passe du rire aux larmes sans aucune transition, Lemaitre joue en effet avec brio avec notre ascenseur émotionnel nous poussant à nous relever pour mieux relire un passage, à tourner les pages pour voir si ce bref indice était bien l'annonce d'un nouveau désastre. Pierre Lemaitre a le talent de Dumas et la plume aguerrie de l'auteur de polars.
Ce second tome consacré aux toutes premières couleurs de l'incendie qui va bientôt ravager l'Europe va sans doute donner naissance à un dernier opus dédié aux années de la Seconde guerre mondiale...Il est peu probable que Pierre Lemaitre ne relève pas à nouveau le défi.