Ce mot simplement pour te signaler que je t'aime.
Signé : tu sais qui.
Ces quelques mots, griffonnés à la va-vite sur une note insérée dans une enveloppe jaune, sont reçus par une quinzaine d'habitants de la place d'Arezzo, dans un quartier chic de Bruxelles. Ils suffisent à provoquer les sentiments les plus violents : curiosités sensuelles et sexuelles inassouvies, vieilles rancoeurs supposées enfouies, amours réparatrices ou encore jalousies destructrices vont se révéler au grand jour et agiter ce quartier dont le seul signe habituel de fantaisie réside dans les nombreux perroquets écumant la cime des arbres de la place.
La structure du roman est ambitieuse. On suit une vingtaine de personnes, qui n'ont a priori en commun que d'habiter sur la même place, et de recevoir la même lettre. Les chemins de toutes ces personnes, aux profils souvent radicalement opposés, vont pourtant se croiser en permanence, les uns étant les amis, enfants, neveux, employés ou clients des autres. Pour y voir clair, Schmitt a sans doute du tracer une frise chronologique illustrant les interactions entre eux. Malheureusement, le lecteur ne possédant pas de telle frise peut par conséquent avoir l'impression de jouer (et parfois de perdre) une réelle partie de "Qui est-ce?".
Schmitt écrit de manière agréable et ciselée. Son expérience d'auteur de théâtre est clairement visible ici, la majorité du roman étant composée de dialogues coulants et souvent très justes dans les émotions transmises. Il fait d'ailleurs preuve d'une réelle tendresse pour ses personnages, les expose, les justifie, et parfois les accable, mais jamais avec malice.
En revanche, ces nombreux personnages sont souvent trop caricaturaux, à l'exception d'un ou deux mieux équilibrés. Caricaturaux surtout dans leur évolution rapide lors des quelques jours que couvre l'intrigue. Etant donné que le lecteur passe très peu de temps avec chacun, ces évolutions paraissent trop superficielles. Pire, le fait de ne passer que trop peu de temps avec chacun n'aide pas vraiment le lecteur à se préoccuper du sort de ces personnalités trop "2D". On reste tel un de ces perroquets qui hantent les hauts arbres de la place d'Arezzo, plongeant le regard à l'envi dans les salons richement éclairés et les chambres aux lumières tamisées des appartements mais ne pouvant se rapprocher : un observateur externe qui ne pénètre que trop rarement dans l'espace véritablement intime des personnages.
Les ficelles scénaristiques utilisées, enfin, sont souvent assez grosses. Ce n'est pas vraiment un souci en soi : le but de Schmitt n'est pas ici de raconter une histoire, mais plutôt d'exposer les passions et perversions de chacun. Perversions d'ailleurs aussi bien amoureuses et sexuelles que personnelles : Schmitt n'est jamais dans ce roman plus pertinent que lorsqu'il décortique le mal-être des exclus, des "punis" de la société moderne. Mais ce sont des moments malheureusement trop rares. Reste au final un roman agréable à lire, mais qui aurait gagné à se concentrer sur moins de personnages et entrer plus en profondeur dans chacune de leurs histoires respectives.