Samar Yazbek, Syrienne réfugiée à Paris pour s'être opposée à Assad, est retournée plusieurs fois clandestinement en Syrie, dans la région de Saraqeb, au nord-est, entre Idlib et Alep, coeur de la résistance au tyran. A chaque fois, ses passages étaient courts, tout en sachant qu'elle pourrait facilement repartir. Elle est partie avec deux projets : monter une structure d'aide aux femmes et écrire à partir des témoignages qu'elle collecterait. De ces deux projets, seul le livre a vu le jour. Témoignage d'horreur, qui marque longuement.


C'est un livre difficile à synthétiser, car comme dans tout journal de guerre, on suit une multitude de sensations très intenses, de la fatigue à l'horreur en passant par la peur panique et, au bout d'un certain temps, une lassitude tentée par l'indifférence nihiliste. En écrivant, Samar Yazbek a dû être assaillie par des montées de souvenirs traumatiques. Elle avoue au début avoir du mal à tout reclasser dans l'ordre chronologique, et une image qui revient souvent est celle d'une émotion irrépressible qui monte en vous et vous enveloppe.


On croise aussi beaucoup de personnages, attachants et fragiles, dont l'épilogue nous évoque le devenir : des militants désenchantés mais qui essaient d'y croire, comme Raed ou Ahmed. Mohammed, un jeune chebab qui refuse d'abandonner sa ville. Abou Ibrahim et Noura, un couple uni, qui s'éloigne de la ville. Et bien d'autres.


Le livre, au final, sert deux finalités :
- Il dresse un bilan de l'insurrection de 2011. Avec un constat terrible d'échec pour l'ASL. Hétéroclite, le mouvement a rapidement manqué de soutien international et de moyens. Capables de gagner sur terre, ils ont été vaincus par les bombardements d'Assad, contre lesquels leurs batteries anti-aériennes de récupération ne pouvaient rien. Ils ont donc assisté, impuissants, à la montée d'autres combattants mieux équipés, car financés par la religion : des milices islamistes comme le front Al-Nosra ou Ahrar al-Cham, dont les émirs font installer la charia et que la population suit car leurs associations caritatives sont les seuls à fournir du pain. Et bien sûr l'Etat Islamique, dont les combattants, qui ne sont pas syriens, sont des brutes roulant en 4x4 et très bien armées. Au sein de l'ASL, les gens luttent en eux-mêmes pour ne pas être gagnés par la haine, par exemple pour ne pas détester les alaouites (Samar Yazbek en est une, et le rappelle parfois à ses interlocuteurs). Mais dès 2013, on voit que le combat semble perdu.



  • Il brosse le tableau apocalyptique de ces populations prises entre le marteau et l'enclume, qui ont pris le réflexe de regarder le ciel, d'où descend la mort. Le récit des bombardements aux barils d'explosifs, aux bombes à fragmentation est marquant. Non pas que l'auteure ait foncé à chaque fois en première ligne (elle ne s'approche qu'une fois du front, pour rencontrer des femmes devenues de vrais fantômes vivants). Mais elle montre les conséquences : les hommes tétanisés, couverts de poussière à côté de cadavres de proches. Les groupes de gamins privés d'école, qui errent. Les récits de cruautés moyen-âgeuses. Les maîtresses de maison qui s'accrochent à tout ce qui peut donner l'illusion d'un confort normal. Ceux qui creusent les tombes au petit matin. Ceux qui déterrent des cadavres de petite fille sous les décombre. La guerre ne changera jamais.


Les portes du néant est un livre fort, qui résonne horriblement pour nous, Occidentaux. Nous avions la guerre d'Espagne à nos portes, et encore une fois, nous avons fermé les yeux. A défaut de pouvoir faire quoi que ce soit, je lis ce livre et je rends hommage à ces populations civiles immolées.


Synopsis.


Le livre est divisé en trois parties. Les deux premières sont courtes, la troisième est longue et plonge de plus en plus dans la noirceur.


"La première porte" est un court chapitre sur le premier passage, en août 2012. Passage de la frontière turque de nuit, découverte d'un hôpital de civils blessés. Contacts avec l'ASL et désenchantement : on y trouve des salauds comme des gens biens, comme dans la vie. Premiers bombardements. Récits d'atrocités des milices d'Assad, qui les attribuent à l'ASL.


"La deuxième porte" raconte le deuxième séjour, en février 2013. Rencontre d'Abou Wahid, combattant de l'ASL. D'une jeune fille qui s'accroche à des oiseaux qu'elle a sauvé. Scènes de dévastation complète à Maarat al-Numan (à mi-chemin vers Alep). Fouille dans des décombres. Montée de l'islamisme, difficulté de savoir sur qui compter. Abou Al-Madj, un des rares officiers déserteurs d'Assad fiable.


"La troisième porte" décrit le mois de juillet-août 2013 au cours duquel Samar a tenté de monter un projet en aide aux femmes. C'est aussi le moment où apparaissent les premières tentatives d'enlèvement de Daech (elle est témoin de l'enlèvement du journaliste Martin Söder). Visite de camps à la misère noire. Hôpitaux improvisés. Bombardements aux barils d'explosifs, qui ne laissent rien debout. Samar doit enfiler une abaya noire pour avoir la paix. Devenue une cible pour les enlèvements, elle ne peut plus rester à Saraqeb. Elle déménage à Kafranbel et les femmes viennent la voir. Elle caresse des projets : soutien à un bus qui passe des films, association pour les femmes, radio libre pour soutenir le moral des habitants. C'est ramadan : pour passer les checkpoints de l'EI en vie, il ne faut pas avoir d'odeur de cigarette. Samar interviewe divers jeunes de l'ASL. Souvent, ils ont pris les armes pour empêcher un massacre par les soldats d'Assad. Ils s'y reprennent à deux fois, blaguent sur les Mille et une nuits. Elle interviewe aussi deux émirs djihadistes : Abou Ahmad, d'Ahar al-Cham, et Abou Assa, du front Al-Nosra. Ils se sont ralliés pour avoir du matériel de guerre, mais sont intransigeants sur la charia et la condition de la femme. Violents, ils paraissent pourtant modérés face à Daech, et le disent. On termine sur le témoignage d'un dernier combattant de l'ASL, émouvant, bienque désabusé, celui de Hajji.

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le 14 janv. 2019

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