La force des livres est cette incroyable capacité à éveiller l’imagination du lecteur. Avec Les Raisins de la colère, on s’endort avec le sentiment d’avoir des cales aux mains, les reins cassés par une dure journée de travail et la peau tannée par des années passées sous un soleil cuisant. On devient un membre de la famille Joad à part entière à chaque page tournée. Et lorsque l’on termine les 600 pages du livre, les mots misère et injustice prennent alors tous leurs sens.


Au début des années 30, durant la Grande Dépression, des dizaines de milliers de familles du sud des États-Unis, principalement de l’Oklahoma, se retrouvent jetées sur les routes menant en Californie. Cet exode forcé fait suite à une expropriation par leurs créanciers, principalement les banques. Conséquence d’une récolte calamiteuse, ces paysans, qu’ils soient petits propriétaires ou métayers, se virent dans l’incapacité de payer leurs échéances. La famille Joad fait partie de cette multitude qui entreprit un long et pénible voyage vers ce qui semblait être un paradis suite aux tracts qu’ils recevaient quémandant des saisonniers pour les récoltes. Un mirage, une supercherie visant à tirer les salaires vers le bas en jouant sur le rapport très simple de l’offre et de la demande.


Les Raisins de la colère est un livre engagé. Publié en 1939, le livre sera vivement critiqué par une partie de la presse et des Américains qui y voient des relents de communisme. En effet le livre ébranle les fondements de cette société. Point d’American dream pour la famille Joad. Dénonçant le racisme de la population à l’encontre de ces migrants internes, John Steinbeck ose écorner l’image de l’Amérique toute puissante et exempt de tous reproches.


L’injustice est un thème important dans cette œuvre de Steinbeck. La pauvreté est décrite de façon très intense. Le courage et l’abnégation de ces hommes et femmes accentuent ce sentiment révoltant d’injustice où une famille travaillant toute la journée ne gagne pas suffisamment pour se nourrir.


Un livre qui a aujourd’hui près de 80 ans et qui sonne de façon étrangement contemporaine. Par exemple dans le fait qu’en temps de crise, les plus riches s’enrichissent de façon exponentielle, alors que les pauvres et les classes moyennes s’appauvrissent. La crise récente des subprimes n’est finalement qu’un éternel recommencement. Et l’austérité qui en découle, que les états et que les entreprises s’efforcent d’appliquer au nom du bien commun, n’est en réalité qu’un moyen simple et efficace permettant aux puissants de ce monde de s’enrichir. Un autre aspect qui est toujours d’actualité est la disparition de la concurrence. De milliers d’exploitations agricoles, la Californie n’en comptera que quelques centaines à la sortie de la Grande dépression. Le nombre de compagnie continue de nos jours à se réduire comme peau de chagrin. L’année dernière par exemple, les deux groupes européens leader dans le marché du ciment ont fusionné.


Les Raisins de la colère est un livre d’une puissance rarement égalée et empreint d’une beauté terrible. Steinbeck critique vivement la déshumanisation de la société, la peur de son voisin, l’obsession pécuniaire et l’enrichissement au dépend d’autrui. L’œuvre est un formidable appel à l’entraide et à la résistance contre toute forme d’oppression et d'exploitation.



Craignez le temps où l'Humanité refusera de souffrir, de mourir pour une idée, car cette seule qualité est le fondement de l'homme même, et cette qualité seule est l'homme, distinct dans tout l'univers.


Vincent-Ruozzi
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le 22 avr. 2016

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