Il est rare que je lise un recueil de poésies d'un seul auteur, de bout en bout, dans l'ordre de présentation. "Les regrets" de Joachim Du Bellay sont donc une exception et une belle surprise parmi mes expériences littéraires. Au-delà du célèbrissime "Heureux qui comme Ulysse...", j y ai découvert un projet poétique cohérent et touchant: celui de nous raconter en sonnets "françois" l'exil, la désillusion et la vanité du monde.
Publiés en 1558 suite à quatre ans de séjour à Rome auprès du pape, "Les Regrets" peuvent être lus comme un récit de voyage en même temps qu'une une correspondance poétique. Du Bellay s'y adresse en effet à des amis écrivains ou mécènes pour leur dire les périls du voyage, les intrigues de cour, et l'amour de son Anjou natal qui lui manque tant. Malgré quelques références savantes à la mythologie et à l'actualité du 16eme siècle, ces sonnets restent très abordables. Cinq siècles après leur rédaction, ils continuent à émouvoir par l'évocation du quotidien d' un homme en exil, de ses difficultés matérielles et de sentiments somme toute universels.
J ai aussi apprécié la variété de tons qui coexisent dans cet ouvrage. Du Bellay y pratique tantôt l'élégie pour épancher son amertume, tantôt la satire pour décrire les moeurs romaines, tantôt l'éloge envers ses protecteurs et sa patrie. Enfin, ce qui m'a définitivement séduite c'est la belle langue du XVIème siècle, dont les tournures et le vocabulaire sont parfois un défi pour le lecteur moderne. Heureusement cette édition comporte un lexique et des notes au bas des pages. Il devient alors très stimulant de déchiffrer ces vers un peu archaïques, tout en observant l'évolution de la langue française. Cette langue, Du Bellay a voulu en réhausser le prestige face au latin, en l'illustrant magnifiquement dans ses poèmes et dans son traité "Défense et illustration de la langue française". C'est d'ailleurs le projet de tous les membres de La Pléiade, ce cercle de poètes humanistes qui modernisent les vers français, et dont les astres les plus brillants sont Du Bellay et Ronsard.