Roman du XIXeme + Série HBO = Les sauvages
Sabri Louatah s'est lancé dans une œuvre monumentale.
Du haut de ses 28ans, il relève le défi d'un roman qui approcherait à la fois la finesse des grands romans du XIXème, et le sens du rythme des meilleures séries TV actuelles. Un défi d'autant plus effrayant que les inspirations de S. Louatah sont à chercher du côté de Dostoïevski, Proust, mais aussi David Simon (The Wire).
Le premier tome, avec justesse, nous fait vivre, tambours battant, 24 heures d'une famille algérienne de Saint-Etienne, en y injectant, par de discrètes touches, les éléments d'une conspiration qui ne cessera de s'intensifier au fil des pages.
Animé par une volonté radicale de réalisme, soutenue par un évident travail de recherche sur les engrenages de la justice, de la politique, et des milieux du renseignements, S. Louatah parvient à maintenir le lecteur en apnée sur plus de 1300 pages (les trois premiers tomes). "Les Sauvages" commence par osciller doucement entre polar et naturalisme, et parvient très vite à mêler les deux styles, aidé par des personnages complexes que Louatah nous fait progressivement découvrir : Les deux frères ennemis Fouad et Nazir, les deux âmes soeurs Dounia et Rabia. Dans ce livre, vous ne trouverez pas d'archétypes, mais des personnages tiraillés dans leurs aspirations, leur vision du monde. Tous doutent: d'eux-même, de leurs choix, de la réalité. Chacun essaie de ne pas perdre pied dans une société et des institutions qui le submergent. Je n'ai pas pu m'empêcher de penser à des personnages comme l'Idiot de Dostoïevski, ou D'Angelo dans "The Wire".
J'ai été particulièrement séduit par la plume légère de Louatah (si peu répandu dans les premiers romans!), la qualité des dialogues, et la trame narrative complexe mais toujours claire des Sauvages.
On reprochera peut-être à Sabri, un relâchement dans la qualité de sa plume au milieu du tome 2, et quelques rare défauts de style. En somme, des bémols anecdotiques au regard du plaisir que j'ai éprouvé à chaque fois que je me plongeais dans les Sauvages.