Si Le Pistolero tenait de l’introduction hautement efficace, sa capacité à ferrer notre attention au gré d’un récit aussi bavard qu’obscure en attestant, Les Trois Cartes ouvre avec la manière des horizons réjouissants : le second volet de La Tour Sombre outrepasse en effet une intrigue relativement réduite (course-poursuite centrale et background tout au plus évoqué) au profit d’une montée en puissance de la quête de Roland... mais sans pour autant s’émanciper d’une étiquette introductive.
Au cœur des festivités, la formation mouvementée d’un trio (ou quatuor) central impose un rythme aussi effréné que lancinant : sans jamais précipiter les choses, le roman conjugue astucieusement un cadre narratif relativement linéaire (plage sans fin) à une succession de chapitres faisant voler en éclat tout carcan temporel et spatial. Mais revenons en aux prémices, nos retrouvailles avec Roland se plaçant s’emblée sous le signe d’une galère sans nom : sans compter le fait que son tête-à-tête avec l’Homme en noir avait accouché d’un dénouement des plus ouverts, c’est un Pistolero éreinté qui nous accueille sans coup férir, tandis que l’entrée en scène des fameuses « Homarstruosités » nous prouve que le pire est toujours à venir.
À l’image du premier volet, une nouvelle course contre la montre s’engage alors, si ce n’est que c’est cette fois-ci Roland qui fuira son propre trépas : un périple claudiquant, suspendu à la déliquescence physique d’un amputé tenace, l’objectif des « Portes » et, bien plus loin encore, de la Tour Sombre nous tenant proportionnellement en haleine. Pour l’heure, l’intrigue fait donc la part belle aux Trois Cartes, elles qui vont venir jalonner à la perfection notre lecture : fort de leurs personnalités on ne peut plus fouillées, Eddie et Susannah vont chacun à leur tour poser les fondations d’un regroupement à nul autre pareil, les circonstances de leur réunion avec le Pistolero démontant systématiquement toute approche archétypale.
Mieux encore, Stephen King démontre d’un certain doigté en ce qui concerne sa narration « duale », les quelques incursions de Roland dans leurs esprits n’illustrant que trop bien l’inventivité du procédé ; certes, il convient alors de ne pas perdre le fil au risque de patauger entre les différentes temporalités (de nombreux flash-backs s’en mêlent), mais il s’avère que l’exercice est suffisamment prenant pour y palier. Le développement de ses futurs comparses est donc une réussite sous toutes les coutures, sans omettre le fait que chacune de leur sous-intrigue respective dessine, de fil en aiguille, un tout cohérent.
L’arc « Jack Mort » en est un bel exemple, le raccord aux mondes propres à Susannah et Jake soulignant les contours d’un récit bien plus maîtrisé qu’il n’y paraît. L’alternance entre le monde en déclin du Pistolero et notre réalité (le suppose-t-on) alimente qui plus est un dynamisme des plus efficient, la variété des péripéties en jeu se couplant à merveille à l’approfondissement (parcimonieux) d’un univers paraissant infini : à ce titre, difficile de dire si King sait lui-même exactement ce que nous réservera la suite des aventures de Roland, mais au vu du présent bouquin, le meilleur est (lui aussi) encore à venir.
Davantage « concret » en termes d’avancées, Les Trois Cartes semble donc installer enfin La Tour Sombre sur de bons rails, au sortir d’une longue séquence introductive en deux temps... désormais, l’épopée de Roland, Eddie et Susannah ne fait que commencer.