Ce roman (1948) a fait l’objet d’une adaptation cinématographique, sous le titre Épouse (1953) par Mikio Naruse, ce qui se comprend parfaitement, car il est représentatif de l’époque et des mentalités dans le Japon de l’après-guerre. D’ailleurs le cinéaste a adapté plusieurs des romans de Fumiko Hayashi.
Les yeux bruns présente un couple la quarantaine qui vit dans une maison sans luxe, mais dont ils doivent néanmoins être les propriétaires, puisqu’ils en louent deux locaux à l’étage. L’un est occupé par un étudiant qui fait de la peinture et l’autre par un couple en difficultés financières, le mari s’avérant incapable de retrouver une activité normale après avoir subi le traumatisme de la guerre comme combattant.
Les propriétaires sont un couple arrangé qui s’est marié après une présentation où chacun s’est fait son idée assez rapidement. Leur mariage doit dater de 10-15 ans. Chacun a cru de son côté que l’amour viendrait avec le temps. Mais ils n’ont pas d’enfant et ils commencent à avoir des récriminations l’un envers l’autre, car leur situation leur laisse des regrets. Mineko la femme au foyer ne se sent pas heureuse, car son époux, Jûichi, ne se montre pas assez attentionné. Il semblerait d’ailleurs qu’il n’éprouve plus guère de désir pour elle. Par ailleurs, on le découvre séduit par le charme d’une employée à leur travail, une veuve qui vit avec un enfant. Outre un charme certain, cette femme encore jeune, Fusako Sagara, affiche malgré son malheur un réel appétit de vivre. Comme on dit aujourd’hui, elle positive et son caractère enjoué plait à Jûichi.
Le roman est centré sur Jûichi qui se montre un homme assez faible finalement. Ceci dit, il a quelques raisons à faire valoir. Outre son mariage arrangé qui l’amène à penser qu’il s’est engagé sur un malentendu, Jûichi vit dans un pays traumatisé par la guerre qui s’est soldée par la cuisante défaite du Japon. Cela se sent dans une atmosphère, une ambiance morose, où les soucis prennent souvent le pas dans les préoccupations du quotidien. La faiblesse de Jûichi se caractérise par sa difficulté à assumer ses engagements et ses envies profondes. Il est franchement attiré par la charmante Fusako, mais n’arrive pas à rompre avec Mineko. Il semblerait que Mineko comme Jûichi soient marqués par le poids des traditions, surtout Mineko finalement.
Alors, si Jûichi parvient à profiter des circonstances pour passer un peu de temps avec Fusako, ensuite il aurait tendance à fantasmer sur la vie qu’il pourrait avoir avec elle, plutôt que de prendre une décision. D’ailleurs, quand la famille de Mineko finit par apprendre ses infidélités et qu’un oncle de Mineko vient le trouver pour le convoquer à une sorte de conseil de famille, Jûichi n’hésite pas à mentir pour dire qu’il viendra alors qu’il sait déjà qu’il n’ira pas. Quant à Mineko, son dialogue avec sa sœur s’avère désespérant car elle reste bloquée sur sa position. Dans son esprit, Jûichi lui appartient et elle ira jusqu’à trouver Fusako pour défendre ce qu’elle considère comme son droit. A noter que Les yeux bruns du titre correspondent à ceux de Mineko. Et, contrairement à ce qu’on pourrait imaginer au premier abord, cela ne correspond pas à quelque chose de romantique. Ces yeux dont Jûichi croise régulièrement le regard sont régulièrement lourds de reproches.
Ce roman montre donc le malaise ambiant dans le Japon de l’après-guerre, sous la plume sensible de Fumiko Hayashi. Dans ce pays encore traumatisé, la relation entre les hommes et les femmes fait déjà apparaître l’opposition entre traditions et modernisme. Et, malheureusement, les aspirations des uns et des autres se heurtent aux réalités, financières notamment.