La virgule apprivoisée
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Prise d'une irrésistible Wanderlust après avoir découvert dans les rayonnages de sa bibliothèque un guide de voyage succinct sur Rügen, un jour qu'elle y musait à la recherche de quelque lecture, la comtesse Elizabeth von Arnim (*) décide de se rendre sur place, séduite par la description de “cette île glorieuse auréolée de légendes” et prise d'une envie incoercible de se baigner et de se laisser “flotter parmi les méduses”.
Elle doit renoncer à son idée de découvrir les lieux seule et à pied, “le monstre sinistre qui a pour nom Convention, dont les griffes d'acier pèseront perpétuellement sur ses épaules” met un terme à son projet : une femme de sa condition ne peut, à cette époque, voyager seule. Elle impose tout de même sa volonté à son époux, au prix d'un compromis, et court à l'aventure en victoria, accompagnée du cocher August et de la mutique Gertrud, sa gouvernante, qui jamais ne lâche son tricot.
Cependant, à chaque nouvelle page, elle s'éloigne davantage de son intention première de rédiger un guide utile sur cette île de la Baltique, consignant les plus beaux paysages et les auberges les moins inconfortables à l'intention de futurs voyageurs. Peu à peu les descriptions se font moins présentes, se fondant (et c'est heureux pour le lecteur) dans le récit savoureux des rencontres et des péripéties vécues au fil des pérégrinations de l'exploratrice.
Éprise de liberté et de solitude, convaincue “qu'il n'y a absolument rien de plus tonifiant pour l'âme que d'oublier ses obligations”, elle doit composer, même dans cette île du bout du monde, avec les importuns qui viennent contrarier son plaisir.
Dans l'écrin de ces paysages somptueux, elle livre un bijou non pas chatoyant et trouble comme le rubis, ni acéré et tranchant comme le diamant, ni même profond comme le saphir ou l'émeraude, mais ses considérations, teintées d'une ironie subtile sur les moeurs de son temps, empruntent leur eau tendre et cristalline à l'aigue-marine ou à l'améthyste.
Pas d'éblouissement foudroyant à cette lecture, plutôt une séduction lente et durable, fraîche comme une brise du nord courant dans une forêt de hêtres au sommet d'une colline de craie blanche, réchauffée par les éclats de cet ambre de la Baltique dont on dit qu'il contient toute la lumière du monde.
(*) Femme de lettres, britannique de naissance, allemande par son mariage avec le comte von Arnim-Schlagenthin, aristocrate prussien (cousin du poète Achim von Arnim), Elizabeth von Arnim (1866-1941) est elle-même cousine de la romancière Katherine Mansfield.
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Créée
le 16 oct. 2017
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