Ce recueil est cher à mon cœur. J'en ai souvent relu les poèmes, classés en deux parties : "L'Année du dragon" (ma préférée) et "Outreterre". J'entre dans ces poèmes en terre fertile, comme si j'écoutais les souvenirs étrangement familiers d'un conteur. Le titre du livre est un mystère... Cela m'agace, me turlupine. Si vous l'avez percé à jour, envoyez un commentaire !
D'entrée, Emmanuel Moses capte l'attention par un ton personnel, intime, distant et amical :
"Si le Misanthrope vivait aujourd'hui, il voyagerait en première
Classe. Mon voisin fume un londrès. Son Rémy Martin luit comme
De l'or. Je prie pour que tu rêves de moi, pour que tu tressailles,
Avant de décrocher le téléphone et de répondre qu'il y a erreur.
Nos latitude n'ont plus rien à voir. Tu es fidèle à ton élément,
Petit taureau, moi au mien. Une mauvaise blague de la compagnie aérienne.
"Je ne bois jamais de thé. Le cigare vous dérange-t-il ?"
Pauvre Browning ! Il aurait changé de place, sans aucun doute.
Drôle d'année, tu sais, cette année du Dragon."
Emmanuel Moses voyage à travers l'espace et le temps, aux origines de ses ancêtres, mêlant sa famille à l'histoire : "Il est temps maintenant de parler de la famille (...) de prendre la route de l'Est - Galizie, Kongress Polin - et de vider le sac des aïeux."
"Le monde est en train de changer. (...)
L'histoire apparaît sur la trajectoire d'une vie et
L'on se dit : "Toi qui était là, n'oublie pas ce moment."
Pendant la guerre de Kippour, je faisais le
Facteur et j'apportais aux mères inquiètes des nouvelles
De leurs fils.
Pendant la visite de Sadate à Jérusalem, je guettais
Chaque passage du cortège officiel.
Ici s'arrêtent mes souvenirs. Je ne peux témoigner
De rien d'autre.
Je n'ai même pas vu mourir ma grand-mère.
Sous le drap, j'avais l'impression qu'elle respirait encore
Et son cercueil ressemblait à une valise
Où quelqu'un se cache pour passer la frontière
De manière clandestine."
Il suffit d'être attentif, de respecter le silence et les morts aimés envoient des messages aux vivants pendant leurs rêves. Leur présence devient palpable :
"Chut. Les morts nous regardent de leurs yeux noirs et blancs. Ils rodent
Comme des vagabonds, comme la lune.
Allume toutes les lumières, débouche le meilleur vin,
Peut-être, petit démon, partiront-ils avec le brouillard.
Dans un cimetière, je me suis promené à bicyclette. J'ai cueilli des asters
Et j'ai pensé à toi. Le ciel était bleu, la terre déjà d'automne. Dans un
Vieux cimetière, et derrière la grille, les gens remettaient leurs
Chapeaux."